Le guérisseur et la mort
cri de douleur, mais de triomphe. Écoute.
Le vagissement énergique d’un nouveau-né se fit alors entendre.
Raquel faillit percuter son père quand elle déboula dans le couloir pour lui annoncer la bonne nouvelle.
— Papa, maman va bien, et mon petit frère est déjà robuste et plein de vie. Je n’ai jamais vu de bébé aussi gros.
— Ton petit frère ?
— Oui, papa, vous avez à présent un autre garçon. Mais allez voir maman, elle ne cesse de vous réclamer.
— Isaac, dit Judith, il est superbe ! Il vous ressemble tant !
Le médecin tendit les bras et la sage-femme lui confia le nouveau-né.
— Mais oui, il m’a l’air en pleine santé. Ah, Judith, quelle bonne épouse vous faites !
— Maman a raison, dit Raquel, il a vos traits. Et s’il continue comme il a commencé, il sera aussi grand et aussi robuste que vous.
— C’est pourquoi j’étais si fatiguée, dit Judith d’une voix enjouée. Porter un tel fardeau, vous vous rendez compte !
— Je dois le prendre et le langer convenablement, intervint la sage-femme d’un ton désapprobateur.
Elle retira l’enfant à Isaac et l’emmaillota dans un linge propre, puis elle se pencha pour le déposer entre les bras de sa mère.
— Il est très grand, tout comme son papa, répéta Judith en riant avant de fermer les yeux et de s’endormir.
— Elle est épuisée, expliqua la sage-femme. Un bébé aussi gros rend la mise au monde longue et douloureuse, mais je crois que tout va bien pour maîtresse Judith et son petit.
— Vous faisiez cette taille-là à votre naissance, dit soudain Naomi, mais votre pauvre mère n’avait ni la force ni le courage de maîtresse Judith. Oh, je n’étais qu’une gamine à l’époque, mais vous étiez le premier bébé que je voyais naître, et ça, je ne l’oublierai jamais.
Le lendemain de la naissance de l’enfant, la maisonnée était sens dessus dessous, pareille à une armée que son général blessé laisse désemparée. Judith dormit, se réveillant parfois pour prendre soin de son enfant et demander si tout se passait bien dans la maison. Une fois rassurée, elle retombait dans le sommeil. Le surlendemain, elle reprit des forces ; peu de temps après, elle s’attribuait à nouveau les rênes du pouvoir.
— Qu’allons-nous faire pour la veillée ? demanda-t-elle à Raquel. Il est clair que pour accueillir un nouveau fils, surtout quand il ressemble tant à son papa, il faut des préparatifs exceptionnels. Où est Naomi ?
C’est ainsi que, le soir précédant la circoncision de l’enfant et le choix de son nom, la maison s’illumina de torches et de chandelles et que d’innombrables plats délicieux vinrent orner les tables.
Le bébé avait bien profité des quelques jours déjà passés sur terre et il était vêtu d’une superbe robe de lin blanc. Amis et voisins poussèrent des cris admiratifs – et bien souvent sincères – quand on le leur présenta. Quelques-unes des personnes présentes pensaient peut-être que le médecin avait reçu plus que sa part de prospérité et de bonheur en ce monde, mais l’heure n’était pas à la controverse. En cet instant, le nouveau-né allait recevoir les vœux de la communauté entière afin que la félicité l’enveloppe et qu’il soit protégé de toute influence néfaste, y compris du tant redouté mauvais œil.
On déposa sur la table une cuvette d’argent pleine d’eau où flottaient d’infimes paillettes d’or et des perles minuscules. Soigneusement, tandis que l’on récitait des prières, l’enfant y fut baigné. Car sa naissance, et celle de tout bébé sain dans la communauté, était synonyme de grandes réjouissances. À l’exception des jeunes enfants, chaque personne présente se rappelait les temps de guerre ou de famine où l’on comptait dix, vingt, voire trente décès pour une seule naissance. Même l’année précédente, ou deux ans plus tôt, nombre de bébés avaient vu le jour pour cesser de lutter quelques semaines ou quelques jours après leur venue au monde.
— Je me demande comment ils vont l’appeler, murmura une jeune épouse.
— Chut, dit sa mère, nous le saurons demain. Il ne faut pas en parler aujourd’hui.
— Je me faisais la réflexion que les noms sont des choses étranges. À certaines personnes, ils semblent n’apporter que du malheur. Tenez, prenez le cas de… Mais qui est-ce là ?
La mère se retourna brusquement.
— Je ne l’ai
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