Le guérisseur et la mort
soleil se reflétait sur les pavés d’une artère plus large. Il s’y dirigea non sans éprouver un grand soulagement.
Soudain, deux silhouettes imposantes bloquèrent le chemin.
— Pardonnez-moi, messires, dit Daniel, mais…
Les deux hommes s’avancèrent et il recula, trébucha, tendit la main pour se rattraper mais tomba tout de même contre la porte entrouverte. L’obscurité se fit. Un homme lui avait jeté sur la tête un tissu sale et noir, un autre lui tenait les bras. Furieux, Daniel réagit en donnant des coups de pied à l’aveuglette et en se débattant comme un beau diable.
— Emmenons-le d’ici, dit une voix, avant que quelqu’un arrive.
On le traîna vers les marches humides et sales, du moins le pensait-il. Ses agresseurs ne semblaient pas dérangés par sa résistance, et ses appels au secours étaient étouffés par le tissu plaqué sur son visage. Il tomba sur une surface dure et reçut un coup de pied juste au-dessous de la cage thoracique. Il pouvait à peine respirer et sentait la nausée monter en lui. Il n’aurait pu dire s’il se trouvait dans la maison ou dans la rue, où on l’emmenait, ce qu’ils attendaient de lui. Tout ce qu’il éprouvait, c’était le regret profond d’avoir été envoyé loin de Gérone, loin de Raquel, et de perdre l’objet de son désir alors qu’il était à portée de main. Sa force le quitta et il cessa de lutter.
— Il s’est évanoui, dit une voix.
— De toute façon, c’est là qu’on le laisse, dit une autre. Je m’en vais avant que ça tourne mal.
Daniel n’avait aucune idée du temps qui s’était écoulé. Il s’efforça de faire le point. Il était couché sur le côté sur une surface froide et irrégulière. Son épaule lui élançait, mais ce n’était pas insupportable ; son flanc était douloureux depuis le coup de botte ; son nez et sa bouche s’emplissaient d’une poussière bien peu agréable. On lui avait ligoté les poignets dans le dos mais il avait les jambes libres. Heureux de ne pas avoir d’autres blessures, il roula sur lui-même et s’assit.
Il allait se lever quand il décida de n’en rien faire. Il ignorait la hauteur du plafond et ne tenait pas à s’assommer. Handicapé par sa position assise et l’impossibilité de se servir de ses mains, il recula sur son séant et vint buter contre un mur grossièrement recouvert de plâtre, aussi froid et humide que le sol. Il se trouvait certainement dans une cave et il se réjouit de ne pas s’être mis debout. Toujours assis, il progressa vers sa gauche et toucha un autre mur. Il fit de même à droite, se cogna et jura à voix basse. Quelle sorte d’endroit était-ce ? Une minuscule cellule ? Un local quelconque, par bonheur vide ?
Il se dirigea vers l’angle de la pièce et explora la surface du mur du bout des doigts. De la pierre et non plus du plâtre. Il s’aperçut que ce mur de pierre ne s’arrêtait pas là et, toujours en se tortillant sur le sol, il résolut de le suivre. Au bout d’un certain temps, il constata qu’il n’était plus froid et humide mais au contraire sec et tiède. Ses doigts touchèrent alors une sorte de tige métallique plantée à angle droit dans le mur. Juste dessous, un autre objet en métal de forme ronde, semblait-il. Quand il le palpa, il se balança doucement.
Un foyer, une marmite. Il était dans une cuisine.
Il y aurait certainement un couteau, quoi que ce soit qui lui permît de trancher ses liens, mais où allait-il dénicher un tel objet ?
Il perçut un mouvement tout près de lui et s’immobilisa.
— Qui tu es ? demanda une petite voix. Pourquoi tu as ça sur la tête ?
— On m’a fait une farce, répondit Daniel le plus calmement possible. Tu peux me l’enlever ?
Il n’y eut pas de réponse, rien qu’un bruissement. Puis il sentit qu’on tirait sur l’étoffe, et de petits ongles lui griffèrent les joues.
— Peux-tu l’attraper par le haut et tirer très fort ?
Le tissu remonta vers ses cheveux, retomba sur son nez et son menton en libérant une belle quantité de poussière. Mais du moins sa tête était-elle dégagée. Son sauveteur se mit à rire.
— Tu es tout sale.
— Oui, ce tissu n’est pas très propre, tu as raison, mais je suis bien content d’en sortir.
Il éternua par trois fois et la petite fille rit à nouveau. Il cligna des yeux pour chasser les derniers grains de poussière de ses cils et découvrit une enfant qui ne devait pas
Weitere Kostenlose Bücher