Le guérisseur et la mort
impression.
— J’aimerais beaucoup m’entretenir avec cet enfant, dit Isaac.
— La plupart des nuits, il dort dans une cabane de l’autre côté de la rivière, mais il entre en ville dès que les portes sont ouvertes.
Yusuf n’avait pas terminé de souper que la cloche du portail sonnait une fois de plus.
— Qui cela peut-il être ? demanda Judith.
— Nous allons bientôt le savoir, maman, lui dit Raquel. Ne vous levez pas.
Bruit de pas dans l’escalier. Ibrahim passa la tête dans la salle commune.
— Deux personnes attendent de voir le maître.
— On me demande au chevet de quelqu’un ? s’enquit Isaac.
— Non, l’homme a dit qu’il voulait vous voir, répéta Ibrahim. Il n’a pas l’air souffrant. Ils vous attendent dans la cour.
— Conduis-les ici, Ibrahim, dit Judith. La nuit est trop fraîche pour rester dehors et nous avons mieux à faire que d’écouter des commérages. Yusuf, emporte ton assiette dans la cuisine.
— Maître Isaac, dit gravement le menuisier Romeu, je suis venu vous parler à la demande insistante de ma fille, Regina, qui m’accompagne, d’ailleurs.
— Je voulais ajouter ma voix à celle de mon père, se hasarda-t-elle.
— Et s’assurer que je transmets bien les nouvelles.
— Desquelles s’agit-il ?
— Vous avez certainement appris que notre locataire, le jeune Lucà, l’herboriste, a été arrêté et se trouve à présent dans les prisons de l’évêque. Je ne comprends pas pourquoi on ne l’a pas placé dans la geôle municipale, puisqu’on l’accuse d’avoir causé la mort de maître Narcís.
— Je vous l’expliquerai dans un instant car j’ai à voir là-dedans.
— Ce n’est pas important, papa, le pressa Regina. Il est innocent et c’est cela qui compte.
— Non, dit Isaac, je vous dois une explication. Il est très important qu’il se trouve dans la prison épiscopale, car je suis ainsi certain qu’on ne le jugera pas avant mercredi, c’est-à-dire dans deux jours, et que son éventuelle exécution ne surviendrait pas avant jeudi. Bien des choses peuvent se produire au cours de ces deux jours.
— Je ne comprends pas de quoi vous parlez, dit Romeu. Je suis prêt à témoigner que l’après-midi et la nuit où le poison a été livré, Lucà n’a pas quitté la maison. Il a travaillé avec moi dans l’atelier, puis nous avons soupé. Ensuite, devant une cruche de vin, il m’a raconté sa vie à Majorque et en Sardaigne. Il ne peut avoir porté cette potion chez maître Narcís.
— Cela ne nous avance pas car personne ne prétend qu’il l’a fait. Le remède a été livré par quelqu’un se présentant comme un messager, quelqu’un de plus petit et de plus mince que le jeune Lucà, qui est un grand jeune homme vigoureux. Ses accusateurs pensent qu’il a payé un messager : il aurait pu le faire à n’importe quelle heure du jour.
— Quand l’aurait-il concocté ? intervint Regina. Depuis Pâques, il a préparé quatre lots de médicaments. Je le sais, parce qu’il lui est plus simple de travailler dans la cuisine et que je l’y ai aidé. Il en fabrique de deux sortes : il m’a confié que c’étaient les seuls qu’il connaissait.
— Qu’en est-il de la potion qu’il vous a donnée, maîtresse ?
— Il avait vu son maître en préparer et il a passé bien du temps à la reconstituer. Il en a bu une grande quantité avant moi pour s’assurer que c’était inoffensif. Chacun de ses médicaments a une odeur particulière que je sais reconnaître. Il en reste encore un peu de chacun.
Elle avait parlé à haute voix, sans hésiter, comme si elle se trouvait déjà devant les juges.
— N’aurait-il pu fabriquer une potion alors que vous étiez sortie ?
— Non, répliqua-t-elle avec fermeté, car il avait l’habitude de m’accompagner quand je faisais mes courses. Il disait que, tant que je ne serais pas entièrement remise, il m’aiderait à porter mes paniers. Si je l’avais laissé seul et qu’il se fût mis au travail, il aurait attisé le feu pour chauffer ses mélanges. Non seulement il aurait utilisé beaucoup de bois, mais l’odeur se serait répandue dans la cuisine, et je l’aurais remarqué.
— Ils vous écouteront et je suis persuadé qu’ils vous croiront, maîtresse, mais ils peuvent aussi penser que vous vous abusez : c’est un jeune homme à la fois beau et charmant, et ils ne manqueront pas d’en tenir compte.
— Je sais
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