Le guérisseur et la mort
à double tour et personne – je dis bien personne, pas même un intime – ne pourra entrer, à l’exception de nous tous ici, naturellement. Regina ne devra pas s’approcher de la porte. Si, en dehors de nous trois, quelqu’un vient livrer un paquet, vous ne devrez pas ouvrir, maîtresse. Me comprenez-vous ? Pour sauver Lucà, il faut d’abord sauver ce malheureux. Et je crains que le monde extérieur ne lui soit plus néfaste que cette blessure.
Le visage blême, chacun l’écoutait et acquiesçait. Puis le médecin s’en alla, accompagné de Yusuf et d’Ibrahim qui portait la torche.
— Vous attendez-vous à de graves dangers, seigneur ? demanda Yusuf dès qu’ils se furent éloignés de la maison de Romeu.
— Je ne m’y attends pas, je les redoute. Je sais que Regina souffre et que son corps est encore affaibli par les épreuves qu’elle a endurées, mais elle est brave et j’espère que son courage la soutiendra.
— Non, seigneur, je parlais…
— Je sais fort bien de quoi tu veux parler, Yusuf, mais au lieu de spéculer en vain, dis-moi ce que tu donnerais à maîtresse Regina pour qu’elle affronte l’avenir avec sérénité. À quels symptômes avons-nous affaire ? Quels sont les remèdes pour chacun ? Lesquels peuvent être administrés en même temps ? Allons, mon enfant, voyons ce que tu as appris en plus de la curiosité.
Hésitant, un peu confus, bafouillant sur certains noms, Yusuf mit de l’ordre dans ses idées et décrivit la situation.
— Je pense qu’elle sera dans l’incapacité de dormir. Pour ça, je lui donnerais… Il y a plusieurs remèdes, je ne sais lequel choisir.
— Dis-moi leurs noms et leurs propriétés, leurs avantages et leurs inconvénients. Dans l’ordre, évidemment. Réfléchis avant de parler.
— Nous sommes arrivés à la porte, seigneur.
— Alors frappe et profite de ce que nous attendons pour commencer.
Comme ils franchissaient la porte et récompensaient le portier, l’individu qui les suivait de loin changea semble-t-il d’idée. Quand la poterne se fut refermée sur eux, il s’arrêta, fit demi-tour et repartit lentement en direction du pont.
Yusuf énonçait la liste des substances soporifiques et en était arrivé au jus de pavot quand ils entrèrent dans la cour. Ibrahim grommela quelque chose qui ressemblait à « bonne nuit » et se retira dans sa chambre.
— J’ai du mal à me souvenir de tout, gémit Yusuf. Je vais me remettre à étudier.
— Tu n’as pas besoin d’étudier, lui dit le médecin, mais d’écouter.
— Je vais essayer, seigneur. Chaque fois que vous parlez d’un traitement.
— Non, c’est tout le temps que tu dois écouter, et pas seulement moi, et il te faut aussi réfléchir avant de parler. Il y avait quelqu’un derrière nous tout à l’heure. Si j’ai pu percevoir le bruit de ses pas, discret par ailleurs, il a pu entendre nos propos. Peut-être était-ce un innocent voyageur, peut-être pas. Nous n’en savons rien. À présent, va te coucher, mon garçon tu as beaucoup travaillé et tu dois être fatigué. Bonne nuit.
— Maître Isaac, lui dit l’évêque, j’ai accepté de vous laisser converser avec le jeune Lucà même si je ne vois pas en quoi cela pourrait bouleverser l’issue du procès. Moi-même lui ai déjà parlé à deux reprises, en présence de témoins, et il n’a donné aucun élément qui saurait convaincre le tribunal de son innocence. Vous a-t-il confié quoi que ce soit qui pourrait jouer en sa faveur ?
— Pour être franc, Votre Excellence, il n’a pas plus fait de révélation qui me convainque de sa culpabilité. Il m’a seulement confié quelques détails que je trouve intéressants, et j’aimerais creuser dans ce sens.
— Vous êtes, bien entendu, libre de le faire.
— La raison pour laquelle je viens déranger Votre Excellence à une heure aussi matinale, c’est que je crois avoir trouvé un témoin qui n’innocentera peut-être pas Lucà mais permettra à la vérité d’éclater.
— Dans ce cas, amenez-le-moi, s’impatienta Berenguer. Un témoin nous serait fort utile.
— Je ne le puis, Votre Excellence, car il est grièvement blessé. J’ignore jusqu’à son nom.
— Expliquez-vous. Et faites vite.
— Je l’ai revu ce matin et tout indique que son état général s’améliore, Votre Excellence, dit Isaac quand il eut achevé le récit de la nuit précédente. Si les poisons n’ont pas été
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