Le héron de Guernica
pupitre les morceaux de bravoure en guise d’apothéose. Et puis après, déjà, un pot-pourri d’airs doucereux pour conclure et disperser la foule.
Basilio aperçoit Celestina. Elle sort d’une ruelle, seule, et marche en direction du kiosque. Dans un instant, elle va passer à proximité du tilleul. Basilio attend qu’elle soit presque en dessous pour sauter au sol. Elle sursaute en portant la main à sa poitrine. Basilio frotte ses mains l’une contre l’autre. Elle rit. Elle porte un béret qui lui tombe sur la joue droite.
Tu m’as fait peur, elle dit.
Ah, je te demande pardon. C’était juste pour rigoler.
T’es fou de sauter de si haut.
C’est pas difficile.
Regarde ça, t’as déchiré ta chemise.
À cause de la musique, tous les deux parlent fort, et chaque fois qu’ils disent quelque chose, ils s’approchent un peu du visage de l’autre pour mieux se faire entendre. Basilio porte la main à son épaule.
Non, ça c’est autre chose.
T’es blessé ?
Non. Pas du tout blessé. Ça s’est passé avant, quand j’ai accompagné les soldats au cimetière.
Tu saignes. Fais voir.
Elle s’approche, écarte le tissu, touche la peau avec douceur.
Ça te fait mal ? elle demande.
Non. J’ai rien du tout. Le rouge, c’est le sang d’un autre gars qui s’est appuyé un peu pour marcher.
Alors tu les as emmenés là-bas.
Oui. Je leur ai montré où c’était. Et puis après, je suis revenu là et on m’a dit que t’étais partie avec Javier Rodriguez. C’est Ramiro qui me l’a dit.
Elle recule d’un pas.
Tu viens, on marche un peu, elle dit.
Ils avancent vers les danseurs, s’arrêtent un instant, regardent les prouesses des musiciens. Souvent, Celestina se retourne vers Basilio en souriant. Et puis elle réajuste son béret et ils se remettent à marcher tranquillement.
Tu sais, au sujet de Javier Rodriguez, c’est pas ce que tu crois, elle dit.
Je crois rien, fait Basilio.
Tu vois, je suis revenue.
Et pourquoi ça ?
Comme ça, pour voir un peu.
Ils passent devant un banc vide.
Tu veux t’asseoir ? elle demande.
Je préfère marcher, dit Basilio. Et toi ?
C’est comme tu veux toi.
Ils continuent à marcher. Lorsqu’ils atteignent les ruelles qui mènent à la place, ils ralentissent le pas comme s’ils hésitaient à les emprunter pour s’éloigner un peu. Et ils finissent par les traverser, l’une puis l’autre, restant ainsi sur le pourtour de la place.
Tu sais Basilio, peut-être que tu voudras pas me croire, mais ce qui s’est passé au pont l’autre fois, ça m’a rendue malheureuse.
La fois où vous êtes tous venus ?
Oui, cette fois-là. J’ai eu honte.
C’était pas si grave.
J’ai eu honte de moi, surtout. J’ai pas été fichue de dire quelque chose. Même pas essayé de les faire taire.
C’était sûrement pas facile à faire.
J’aurais dû essayer.
Maintenant, dit Basilio, j’espère seulement qu’ils reviendront pas. Parce que c’est déjà difficile de peindre un héron quand on est bien tranquilles tous les deux, rien que lui et moi.
Ils se retrouvent en haut de la place, près du tilleul.
Je crois qu’on a fait un tour complet, dit Celestina en souriant.
Tu veux qu’on monte dans l’arbre ?
J’ai peur de pas y arriver.
Je peux t’aider, si tu veux.
Une autre fois, on verra.
Ils sont immobiles sous les branches du tilleul.
Et tu continues à le peindre, le héron du pont ?
Oui, celui-là et aussi d’autres, des fois. Ça dépend, j’ai plusieurs coins à hérons, sur les rives de la Mundaca. Mais celui du pont, je le retrouve presque chaque fois, en ce moment. J’ai l’impression qu’on commence à bien se connaître.
T’en as peint beaucoup, des hérons ?
Plus de cent.
J’aimerais bien que tu me les montres un jour.
Je sais pas.
Tu voudrais pas me les montrer ?
Je sais pas. Quelques-uns peut-être, dans les derniers que j’ai faits.
La musique s’arrête et il y a une longue salve d’applaudissements. Les musiciens se lèvent et s’inclinent ensemble à plusieurs reprises. Après un moment, le chef d’orchestre souhaite le bonsoir et donne rendez-vous au dimanche suivant. Les gens restent là un moment, assemblés en petits groupes, le temps de se saluer. Et puis ils commencent à se disperser.
Tu veux qu’on marche encore ? demande Basilio.
Elle hausse les épaules.
On peut faire encore le tour de la place, si t’es d’accord.
D’accord, dit Celestina.
Ils repartent
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