Le héron de Guernica
doucement. Basilio met les mains dans les poches arrière de son pantalon.
T’es toujours là-bas, à l’usine de confiserie ? demande Basilio.
Oui, pour l’instant. Mais je vais pas rester très longtemps. C’est trop dur. Tous les soirs, j’ai mal au dos.
Ah.
Je voudrais voir pour travailler avec ma tante, à la mercerie.
Celle de la Calle Don Tello ?
Oui, c’est ça.
C’est juste en face de là où j’habite.
Ah oui, c’est vrai.
Ils marchent en silence un moment. Hésitent au croisement d’une ruelle, scrutent ensemble vers le sombre, puis traversent.
Et les soldats, qu’est-ce qu’ils disent, elle demande.
Les soldats ?
Oui.
Pas grand-chose. Ils sont fatigués.
Tu crois que les nationalistes vont arriver ici à Guernica, toi ?
J’en sais rien.
Il y a les Maures, aussi. Tout le monde en parle.
Je sais, dit Basilio.
Ils ont déjà atteint le bas de la place et dans pas longtemps, ils vont commencer à remonter en direction du tilleul. Basilio ralentit le pas, se tord le cou pour observer sa chemise déchirée.
Vraiment, c’était rien cette histoire de chemise.
Quand même, observe Celestina.
Non, vraiment rien. La seule chose, c’est pour Maria. Ça m’embête pour elle. Elle m’avait recommandé d’en prendre soin et voilà tout ce que j’ai réussi à faire.
Celestina s’arrête, étudie l’accroc une fois encore.
Si tu veux, je pourrais essayer de la raccommoder.
Ah.
Tu voudrais ?
Oui.
Je ferai de mon mieux.
Oui, d’accord. Je te l’apporterai à l’usine.
La place s’est vidée. Par instants, le silence est rompu par quelques plaisanteries jetées à voix haute par les musiciens qui finissent de ranger leur matériel.
L’air est immobile. Ils sont à nouveau près du tilleul. Celestina dit que maintenant, elle va rentrer.
Je pourrais essayer de peindre un héron pour toi.
Elle le regarde, sans rien dire.
C’est pas pour la chemise que je dis ça, dit Basilio.
Elle rit.
T’aimerais bien avoir un héron ? demande Basilio.
Oui.
Enfin, un héron, c’est une façon de parler.
Et ils pouffent de rire tous les deux, elle, le regard fixé sur son visage à lui et lui, Basilio, les yeux baissés vers le sol, un peu embarrassé.
Un héron, il répète.
Il se redresse et leurs regards encore emplis de rire se croisent un instant.
Peut-être que je le commencerai demain matin, dit Basilio sérieux tout à coup.
Elle l’encourage d’un hochement de tête.
Bon, alors. On se verra bientôt, lance joyeusement Celestina en s’écartant d’un ou deux pas. Bonne nuit, Basilio.
Bonne nuit, fait Basilio pensif.
Et après un temps.
Hé, attends !
Elle s’arrête.
C’est drôle, aussi, il dit.
Quoi ?
La mercerie de la Calle Don Tello.
Elle lui fait un signe de la main et s’éloigne.
Il la suit des yeux aussi longtemps que possible, sans penser à la raccompagner jusque chez elle.
Quand elle a disparu, il s’adosse au tronc du tilleul. Il lève le front vers le ciel et cherche les étoiles dans les trouées claires.
LE PONT DE RENTERIA
Pour Basilio, la nuit a été mauvaise et à l’aube tout juste naissante, il est content de quitter sa chambre et de respirer l’air frais du dehors.
Au retour du bal, il a peiné à trouver le sommeil, après tous les événements de la journée écoulée, l’expédition au cimetière avec les soldats, la conversation avec Celestina, le béret tombant gracieusement sur sa joue, l’espoir de la mercerie, la promesse de sa peinture pour elle. En plus, il y a eu les grognements suraigus et presque incessants du cochon attaché dans la cour. Avant de sortir, Basilio lui flanque un léger coup de pied dans l’arrière-train.
Saleté de bestiole, il fait.
Tranquillement, il remonte vers le nord la route rectiligne en direction du pont. Il tient son carton à dessins sous le bras droit, et dans la main gauche son coffret à peinture maculé de taches colorées. Malgré l’heure matinale, il croise plusieurs marcheurs ployant sous le poids des sacs et des panières, et même deux ou trois carrioles tirées par des mules ; tous se dirigent vers la place du marché.
Basilio lui aussi s’y rendra un peu plus tard, avec le cochon et le sac de haricots. Il y retrouvera le vieux Julian et il se débrouillera pour y amener son oncle Augusto comme ils en ont convenu.
Le ciel est plutôt clair, avec seulement quelques nuages amoncelés du côté de la mer. L’air est chargé de sel. Basilio pense aux
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