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Le héron de Guernica

Le héron de Guernica

Titel: Le héron de Guernica Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Antoine Choplin
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dessiné le héron, avec application.
    Après une vingtaine de minutes, son oncle était revenu se coller dans son dos. Basilio avait mis un dernier coup de crayon, s’était levé et tous les deux, ils avaient regardé le dessin, sous l’œil du héron, toujours immobile.
    Ouais. C’est pas mal, avait dit Augusto. Mais on dirait qu’il est empaillé, ton gros piaf.
    Basilio n’avait rien dit. Et puis ils avaient marché jusqu’aux abords du stade et Basilio avait gardé son carnet à la main, ouvert à la page du héron.
    Au fond de lui-même, il avait fini par en convenir. Ce héron-là, le sien sur le papier, n’avait vraiment rien de vivant. Pendant le match, il n’avait pas cessé de penser à ce qui lui manquait pour le devenir. Dans les tribunes, il avait posé la question à Augusto mais il n’avait obtenu qu’une réponse bredouillée, un peu agacée même, et qui s’était perdue dans les cris des supporters.
    Longtemps après, il avait entendu parler des hérons cendrés de la Mundaca. Les premières fois où il s’était rendu au bord de la rivière pour les observer, il n’avait rien pu griffonner dans son carnet. Il n’avait fait que les regarder avec intensité, en songeant au héron empaillé de Bilbao.
    D’abord, la question de cette immobilité.
    C’est curieux comme de ces poses qu’aime prendre le héron, de ces postures qu’il sait rendre parfaitement inertes, émane pourtant une sorte de palpitation. Même à vingt ou trente mètres, on le perçoit, le frémissement invisible, le battement profond qui cogne aux parois de ce corps figé.
    Basilio se dit que la peinture ne pourra jamais rendre ça. C’est déjà difficile de conférer par le pinceau un peu d’allant à la représentation d’un être en mouvement ; mais s’il renonce à bouger ne serait-ce qu’un cil, alors là.
    Il s’y essaye pourtant sans relâche, Basilio.
    Il s’invente quelques stratagèmes pour cela ; en constate les limites ; en expérimente de nouveaux. Tous ont en commun de l’amener à tricher un peu, d’une manière ou d’une autre. À courber le rectiligne, à barbouiller un peu l’évidence du réel visible. À éroder les lignes trop nettes, les contours trop prononcés. Et dans les meilleurs jours, il a parfois l’impression de peindre à l’unisson de cette vibration secrète, celle qui du héron immobile fait avant tout un être en train de vivre.
    Mais il est possible aussi que dans la sincérité de cette vibration, le héron lui-même finisse par se perdre. C’est peut-être ce que lui signifie Augusto quand devant ses peintures, il lui arrive de marmonner : Ouais, c’est pas mal. Mais c’est quoi ?
    Et puis aussi, la profondeur de ce regard.
    Ces deux gouffres plantés de part et d’autre de la tête du héron et par lesquels, lorsqu’il n’est pas trop à distance, Basilio a l’impression de s’exposer à une chute vertigineuse. Ces petites billes aussi, disons au moins l’une d’entre elles, doivent figurer sur la toile. Et pas seulement comme des coques luisantes aux couleurs et aux reflets complexes. Non, comme des puits plutôt, noirs et irrésistibles.
    Basilio se dit qu’il conviendrait peut-être un jour ou l’autre de se résoudre à oublier le héron lui-même pour ne s’intéresser qu’à l’abîme qui s’ouvre à l’interstice de son regard. Plonger un peu là-dedans, et seulement ça.
    D’ailleurs, de cette façon, on pourrait au passage abandonner tout le reste. Le héron lui-même donc, son plumage, ses allures fières, la flèche de son bec, mais aussi tout ce qui façonne son environnement. La roselière, les aulnes, les reflets dans l’eau du marais, la couleur du ciel. Dans cette exploration réduite aux entrailles du modèle, on cesserait de se poser la question du dehors ; de la place du dehors dans la peinture. On se dirait que oui, sans doute, la réalité profonde du héron peut être détachée de celle de la matière et des paysages qui l’entourent.
    À la vérité, Basilio en douterait plutôt, sans parvenir à distinguer pour de bon ce qui lie ensemble l’une et l’autre de ces réalités.
    Et aujourd’hui en plus, comme si tout cela ne suffisait pas à la peine, il sent se glisser entre eux, entre lui et le héron, dans l’intimité de leur face-à-face, une autre présence. Celle de Celestina, à qui il a promis d’offrir sa peinture.
    On va vraiment faire ça du mieux qu’on peut, hein mon pépère, se dit encore

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