Le héron de Guernica
Basilio. Allez, tiens-toi bien comme il faut.
Pour Celestina, il aurait aimé un héron de la plus belle élégance, au plumage rare et flamboyant. Quelque chose d’encore plus brillant que ce héron de tous les jours. C’est en tout cas ce qu’il se dit au début, un instant aveuglé par le désir de prouver sa virtuosité, de montrer son adresse de coloriste.
Il se souvient pourtant que la beauté du héron, comme celle de sa représentation, n’ont que peu à voir avec les irisations et les parures. Il conviendra seulement, comme les autres fois, mieux que les autres fois, mieux qu’il ne l’a jamais fait jusqu’à présent, d’ausculter ce héron du regard, avec une application parfaite, d’en cueillir quelques traits cachés, et surtout, une petite lueur de vie. Et c’est tout.
Voilà.
Le souffle court, Basilio commence à peindre.
La lumière a changé.
Elle n’est plus celle, taquine et traversière, des petits matins. Elle inonde désormais toute chose, à égalité.
Soudain, Basilio est arraché à son travail par ce bruissement derrière lui, vers la rivière, en direction du pont. Il se retourne.
Aperçoit le soldat.
Il est allongé sur le ventre à une quinzaine de mètres, dans la boue, un pistolet à la main braqué dans sa direction. Et puis, il pose le canon de l’arme sur sa bouche close et Basilio comprend qu’il lui intime l’ordre de se taire.
Juste après, deux autres soldats dégringolent le terre-plein qui soutient le pont.
Regarde, là, il y a des traces toutes fraîches, fait l’un des deux. Il a dû passer par là.
Ils longent la rivière, arrivent aux troncs d’arbre qui font office de gué pour rejoindre la zone du marais. Ils se mettent à courir dans l’eau peu profonde, en s’enfonçant jusqu’aux genoux.
Le soldat allongé a rampé à reculons pour se dissimuler sous un bosquet. Basilio n’aperçoit plus que son visage. Il voit aussi le geste qu’il fait à deux reprises, l’index glissant sous le menton, d’une oreille à l’autre.
Basilio se détourne, feint de se remettre à sa peinture.
Là-bas, le héron lui aussi, a presque disparu dans les roseaux, à reculons.
Là, fait l’un des deux soldats.
Ils viennent de repérer Basilio. Ils s’approchent un peu, à pas prudents.
Qu’est-ce que tu fous là, demande l’un des deux.
Rien. Enfin si, vous voyez, je peins.
T’entends ça, fait l’autre soldat avec un drôle de rire.
J’essaie de peindre un héron, et vous l’avez fait s’enfuir.
La belle affaire.
Les deux soldats maintenant immobiles, restent à distance.
Et t’aurais pas vu un gars, par là ? Un comme nous, avec l’uniforme. Un déserteur.
Vu personne.
T’as rien entendu non plus ?
Rien. Personne.
Et Basilio fait mine de se remettre à peindre.
Il a dû continuer le long de la rivière. Putain, si on le choppe.
Et après avoir jeté un coup d’œil à la ronde, ils repartent en trottinant.
Te retourne pas, chuchote le soldat allongé. Continue à peindre comme si de rien n’était, ils vont sûrement repasser.
Basilio fait comme il dit et au bout d’un moment, les deux autres soldats repassent dans l’autre sens sans même marquer le pas à la hauteur du marais. Peu après, on les entend ahaner alors qu’ils escaladent le terre-plein raide du pont. Puis le silence se fait à nouveau.
Basilio n’ose pas se retourner dans la direction du soldat allongé. Il a peur d’être toujours tenu en joue.
En face, le héron réapparaît, lentement. Il reprend sa place, juste à l’avant de la roselière.
Vous êtes toujours là ? demande Basilio à voix basse.
Comme il ne reçoit aucune réponse, il pivote doucement sur lui-même. Le soldat est là, au même endroit. Son front repose sur son bras replié. Il a laissé tomber l’arme dans la terre humide.
Ça va aller ? demande encore Basilio.
Le soldat fait signe que oui sans lever le front de son bras.
Vous n’êtes pas blessé au moins ?
Non, répond le soldat.
Et quand il finit par lever la tête, Basilio découvre un visage d’adolescent, souillé de boue.
Tu penses qu’ils vont revenir par là ? demande Basilio.
Je sais pas. Ça m’étonnerait.
Le soldat se met debout, frappe de ses deux mains sur son pantalon de treillis pour enlever le plus gros des salissures tout en scrutant les alentours.
En tout cas, je m’excuse, fait le soldat.
Basilio hausse les épaules.
Et en souriant, le soldat fait glisser son index sous le menton.
Ah
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