Le héron de Guernica
c’est-à-dire en devenir, avec tous les espoirs que cela porte encore. Avec les libertés que ça laisse aussi, dans la lecture des espaces vides.
Il se demande ce qu’elle en dirait Celestina, de cette feuille encore largement vierge, avec cet effet de plumes au milieu, et tout juste quelques traits pour témoigner de la silhouette élancée du héron. Ça le fait sourire, Basilio.
Pendant que tu y es, il se dit, tu n’as qu’à lui offrir une feuille de papier blanc. Le plus beau héron qu’on aura jamais peint.
Quand la peinture est sèche, il range la feuille dans le carton et remet son petit matériel dans le coffret. Il accroche le tout hors de vue, aux branches du grand aulne. C’est ce qu’il a coutume de faire lorsqu’il pense continuer son travail plus tard dans la journée.
Puis, après un coup d’œil au héron endormi – À tout à l’heure mon pépère !, il quitte le marais pour se rendre au marché.
Basilio n’a jamais vu la Calle Santa Maria aussi bondée qu’aujourd’hui. Son cochon en laisse et son sac de haricots sur l’épaule, il se fraye un chemin comme il peut parmi les flots contradictoires : ceux qui, comme lui, descendent vers la place du marché ; les voitures à bras surchargées poussées par ceux qui s’apprêtent à quitter la ville vers le sud pour rejoindre Bilbao ; ou encore les ouvriers municipaux qui, pénétrés de l’urgence de leur mission, défilent pour empiler les sacs de sable autour du Refuge, l’abri qui occupe le centre de la rue.
Quand il retrouve le vieux Julian, il a le front luisant de transpiration.
Ah, t’es là toi.
Je suis venu pour vendre le cochon, et aussi les haricots. Enfin, les haricots, j’en ai mis un peu de côté, pour Maria et moi.
T’as bien raison. Les haricots du vieux Julian, c’est les meilleurs de Biscaye.
Basilio laisse tomber son sac sur le sol, attache le cochon au pied d’un étal métallique voisin où une vieille femme vend de la morue et de la palourde.
J’aimerais aller chercher l’oncle Augusto avec la carriole, dit Basilio.
Cette vieille teigne d’Augusto. Tu veux essayer de me faire croire qu’il est toujours vivant ?
Alors ?
Tu la trouveras à l’endroit habituel, derrière le poste.
Basilio remercie et s’éloigne au pas de course.
Il contourne le poste des pompiers dont la porte est grande ouverte. À l’intérieur, il remarque à peine les trois chevaux attelés, prêts à intervenir.
Il manœuvre la lourde carriole à bras du père Julian et à une allure de limace en raison de la foule, il traverse la place du marché en la tirant derrière lui. Heureusement, la résidence est à trois rues de là et le terrain est plat.
En arrivant à la résidence Calzada, Basilio est surpris d’y découvrir son oncle debout devant la porte, appuyé sur sa canne.
Un peu plus, et j’y allais à pied, il annonce d’une voix forte.
Ça alors, s’exclame Basilio, plein d’admiration. Ça fait drôlement plaisir de te voir là, costaud comme avant.
Allez, aide-moi plutôt à grimper là-dedans qu’on prenne la poudre d’escampette, et plus vite que ça. Ah !
Basilio aide Augusto à s’installer sur la planchette vermoulue et ils repartent en direction de la place.
Basilio progresse à reculons, le corps arc-bouté sur les deux mancherons de la carriole. Son oncle qui lui fait face n’a pas un regard pour lui. En revanche, il examine les alentours avec curiosité. Parfois, il salue l’un ou l’autre d’un simple geste de bras.
Alors, tu les as amenés ? il demande soudain d’une voix tonitruante.
Quoi ? fait Basilio.
Il s’arrête, en profite pour souffler un peu. Et se rapproche de son oncle.
Non, t’arrête pas, dit Augusto. Plus tôt on sera rendu, mieux ce sera. Ben, ton cochon, pardi. Et aussi tes haricots.
Si je les amenés !
Et, avec le coup de pouce d’un passant, il remet la charrette en route.
T’as réfléchi pour savoir combien t’en voulais de ton cochon ?
Dans les cent quarante, cent cinquante pesetas.
Augusto émet un long sifflement.
Ça fait une somme.
Il est quand même bien gras, dit Basilio.
Ouais. On peut toujours essayer à cent cinquante, on verra bien, dit Augusto après un temps.
Plus ils approchent du marché et plus la circulation devient dense.
Regarde-moi ça, lance Augusto en désignant un convoi de chariots tirés par des ânes, entouré de femmes et d’enfants.
Ils finissent par rejoindre le poste. Après plusieurs essais
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