Le héron de Guernica
infructueux pour aider Augusto à descendre, Basilio suggère de l’attraper sous les aisselles et, malgré les jurons, il le fait glisser ainsi jusqu’au sol.
Tu vois bien que je peux encore me débrouiller tout seul, peste-t-il tout en jaugeant les chevaux attelés des pompiers.
À pas très lents, ils avancent vers l’étal du vieux Julian.
Alors, tu crois qu’ils ont tort, tous ceux qui décident de quitter Guernica ? demande Basilio.
Augusto fait la moue. Ne répond rien.
Regarde-moi le champion qui se pointe !
Moque-toi, vieux vautour. Tu verras bien lequel des deux va enterrer l’autre. Qu’est-ce que je dis, tu verras rien du tout.
Julian et Augusto se serrent la main.
Julian dit que les affaires marchent plutôt bien, qu’il a presque tout vendu à bon prix, les poulets et les légumes. Que le cochon de Basilio devrait bien partir aussi.
Basilio a ouvert le sac de haricots, en a renversé quelques poignées sur le bord de l’étal de Julian pour qu’on puisse bien les voir et même les prendre en main. Il tient son cochon au bout d’une courte laisse et piétine dans le passage étroit, juste devant l’étal. De toute part, on le contourne et parfois, on le bouscule un peu.
Cochon à vendre, cochon à vendre. Un beau cochon, assez gras quand même. J’en demande dans les cent cinquante.
Sa voix reste timide et elle est couverte par le brouhaha ambiant, les coups de gueule des autres vendeurs et des gars qui se saluent ou s’interpellent à distance.
Derrière l’étal, Julian et Augusto sont assis sur deux barriques et ils observent Basilio en rigolant un peu. De temps à autre, Julian capte l’attention d’un passant et lui désigne les haricots de Basilio d’un simple geste. Deux ou trois fois, le passant marque le pas, attrape quelques haricots, les renifle, demande le prix. Quand il les remet en place, Julian ne lui prête déjà plus attention.
Tu t’y prends comme un manche, lance Augusto à Basilio. Avec ta façon de faire, t’en tireras même pas de quoi nous payer un coup à boire.
Basilio jette un coup d’œil en direction de son oncle, sans cesser de faire les cent pas dans l’allée. Il se redresse et hausse le niveau de sa voix.
Bonjour messieurs dames, je vends mon cochon. C’est un beau cochon. Assez gras. Pour cent cinquante pesetas, je le vends.
Augusto soupire, avec un air las.
Il attrape le bord de l’étal et lentement, parvient à se mettre debout. Sa voix est puissante ; les badauds ralentissent et à proximité, toutes les têtes se tournent vers lui.
Mon-petit-cochon-tout-beau-et-assez-gras-quand-même-pour-cent-cinquante-pesetas, il ironise en affectant de minauder. Je t’en foutrais. Vous voulez la vérité, messieurs dames ? La vérité vraie ? Eh bien la vérité, c’est que des cochons de cette classe-là, vous pouvez fouiller tous les recoins de la Biscaye, vous serez infoutus de m’en dégotter un seul. Pas la queue d’un. À quoi, ça tient, vous allez me dire. Eh bien, je vais vous dire quelque chose : j’en sais rien moi-même. Secret de fabrication. Tout ce que je sais, c’est que y a que le vieux Julian pour faire du cochon de cette trempe. T’as qu’à y regarder de près. Approche-toi. Si t’es connaisseur, un coup d’œil et t’as tout compris. Même dans les yeux, tu peux voir ça. Dans les yeux du cochon, messieurs dames, pour qui s’y connaît un peu s’entend, dans les yeux du cochon tu peux déjà goûter la qualité de la chair. C’est comme avec les femmes.
Quelques éclats de rire.
Il exagère, dit Basilio à une vieille femme qui le frôle.
Alors, reprend Augusto, quand j’entends le gamin qui veut vous vendre cette merveille pour cent cinquante pesetas, ça me fait presque de la peine. Et pour le paysan Julian, je considère ça comme une insulte. Pas vrai, Julian ?
Julian fait une moue désinvolte.
Après, c’est le fruit de son travail au petit. Alors bien sûr, c’est lui qui décide au bout du compte. S’il veut vendre à cent cinquante, il vend à cent cinquante, qu’est-ce que vous voulez y faire.
Et il se rassoit, l’air renfrogné.
Basilio s’est tu. Deux hommes se sont accroupis pour regarder le cochon de plus près. Un autre les rejoint.
Quel baratin il nous a fait, dit l’un des hommes.
C’est sûr, il exagère, dit Basilio. Mais c’est un brave homme, ça empêche pas.
Alors, tu le vends cent cinquante ? demande l’homme qui vient d’arriver.
Oui, dit Basilio. Et
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