Le héron de Guernica
lointain.
Il voit le héron qui fait quelques pas nerveux vers l’arrière jusqu’à disparaître parmi les roseaux.
Lentement, le bruit s’intensifie et change de texture. Gagne dans les graves.
L’avion vole à très basse altitude. En un instant, il est juste au-dessus du pont et du marais. Basilio remarque le frémissement des eaux. En même temps, il se couvre les oreilles de ses deux mains et résiste à l’envie de se plaquer au sol.
L’avion prend soudain de l’altitude, à pleine puissance. Basilio en observe l’ascension presque verticale, juste au-dessus de lui, d’abord rapide puis de plus en plus hésitante. Au sommet de la trajectoire, le vacarme consent une courte pause ; et l’appareil retombe, presque en feuille morte ; une seconde plus tard, il a retrouvé une position stable et reprend son rase-mottes en direction de la ville.
Le vrombissement décroît et finit par s’évanouir.
Dans le ciel clair, il reste un panache noirâtre en forme de virgule et des odeurs de graisse chaude.
Drôle de coup de pinceau, se dit Basilio.
Il regarde la fumée sombre se désagréger doucement.
Basilio se remet devant sa peinture.
Le héron n’est pas réapparu. Il va en profiter pour se consacrer au décor.
Il commence par donner quelques coups de crayon pour marquer les espaces terrestres. L’eau, les arbres, les roseaux, quelques reflets, la terre nue.
Aussi, il y a la béance du ciel.
À l’aplomb de la feuille et sans jamais l’effleurer, le crayon de Basilio y exécute de drôles de figures avant de lui tomber des doigts.
Après un long moment, il se lève. Avec précaution, il dépose sa peinture à plat, en équilibre sur la souche. L’observe, les deux mains accrochées l’une à l’autre derrière la nuque. Et puis il fait quelques pas aux alentours, parmi les arbres, revenant systématiquement devant la souche regarder un peu, sans pour autant s’arrêter de marcher.
Enfin, un peu à l’écart, il s’adosse à un tronc.
Les yeux fermés, il goûte la polyphonie joyeuse des chants d’oiseaux.
Insensiblement, les sons du marais se sont effacés et il n’y a plus que le criaillement des mouettes.
Depuis son arbre, Basilio les observe. Elles sont étrangement rassemblées au bord de la Mundaca, à quelques mètres de là. La plupart sont au sol, certaines volettent à peine, sautillant d’un endroit à l’autre. D’autres continuent à les rejoindre, poussées par la brise de mer.
La concentration des mouettes semble augmenter encore, autour d’un même point. Les becs, convergents, picorent et s’arrachent une nourriture filandreuse.
Soudain, le filet s’abat sur elles. Les cris s’intensifient, tandis que les ailes des mouettes cherchant à fuir produisent un drôle de froissement. Certaines réussissent à s’échapper ; l’envol avorté des autres gonfle un instant le filet qui retombe sans cesse sur elles avec la lenteur d’une légère étoffe de soie.
Rafaël sort de sa cachette, derrière le buisson d’aulnes. Avec précaution, il ramène à lui la corde qui borde le filet et qui agit comme un nœud coulant, rétrécissant doucement l’espace des oiseaux pris au piège.
Hé, Rafaël, lance Basilio.
Rafaël ne l’entend pas.
Basilio le regarde faire un instant encore puis s’avance vers lui. Le vacarme produit par les mouettes dans le filet est assourdissant, si bien que Rafaël ne l’entend pas venir. Quand il lève les yeux sur lui, il est tout proche.
Qu’est-ce que tu fais là ? il demande dans un sursaut.
Basilio hausse les épaules. Rafaël finit de ramener la corde, fait un nœud.
Tu les as bien eues, dit Basilio.
Ah ça oui, je les ai eues, cette fois. Tu m’as vu faire ?
Oui, je t’ai vu. Tu sais t’y prendre.
Tu pourrais essayer, une fois. C’est pas compliqué. Y a qu’à bien choisir son jour. Si t’as pas le vent du nord, tu feras rien.
Faut appâter, aussi.
Pour ça, suffit d’aller au marché et de ramasser les débris de poissons qui traînent. Plus ça pue, mieux c’est.
Ils regardent un moment l’agitation des mouettes prisonnières.
Après, dit Rafaël, pour le filet, c’est sûr que c’est un coup de main à prendre.
C’est vrai que ça sent fort, fait Basilio en désignant les carcasses de poisson.
Rafaël tire le filet plein de mouettes sur deux ou trois mètres.
Ça pèse son poids, il dit.
Tu veux que je t’aide ?
Non, ça va, j’ai l’habitude de me démerder.
Tu vas les mettre
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