Le héron de Guernica
une chose ou l’autre, avant, le plus souvent, de la laisser retomber au sol.
Quelqu’un appelle, demande de l’aide. Deux ou trois gars s’avancent en direction de la voix.
Basilio reste immobile.
C’est d’abord une intuition, un éclair qui lui traverse l’esprit, à Basilio.
Au sein de ce chaos, quelque chose a fait front. Quelque chose a résisté au fracas.
Un temps, son regard figé renonce à balayer les espaces.
Oui, c’est ça. C’est là, juste en face.
La mercerie.
Celle où voulait travailler Celestina.
Basilio fait quelques pas vers la petite échoppe.
Elle est restée vaillante. Petite boîte aux contours indemnes et réguliers, de belle élégance encore, peinture bleue, enseigne aux lettres joliment ourlées.
Un écrin à l’avant des ruines, voilà l’impression que ça lui fait à Basilio. Un minéral pur soustrait à l’anarchie d’une roche.
Quelques pas encore et le regard de Basilio fouille les panières à boutons et à rubans, étudie les étiquettes.
Il y a l’étagère aux bobines de fil, de toutes les couleurs, exposées par ordre de taille. Sa main se porte sur l’une d’elles. Une blanche.
Il la fait rouler dans sa paume.
Pense à l’accroc de la chemise.
Ça a drôlement chauffé, hein ?
Basilio repose précipitamment la bobine sur l’étagère et se retourne. C’est Ramiro, le petit cousin de Celestina. Il porte un ballon dans ses bras.
Salut Ramiro.
Hein que ça a chauffé ?
Tu parles que oui. T’es pas parti à Bilbao ?
Non, pas encore. Ma mère et mes sœurs, oui, elles sont parties ce matin. Et moi, peut-être cette semaine.
T’étais où, quand les avions ont bombardé ?
Mon père m’a emmené dans la forêt, vers les grottes. On est resté là-bas.
T’as pas eu trop peur, alors.
Non. Un peu quand même. Pas trop.
Il est où ton père ?
Parti voir.
Il fait un vague geste de bras vers le centre de la ville.
Il reviendra me chercher ici, à la mercerie. Elle appartient à notre famille, la mercerie.
Je sais, dit Basilio. Elle a drôlement bien tenu le coup.
Ouais, drôlement bien.
Ramiro lance son ballon, le fait rebondir sur son front, le rattrape.
C’est combien ton record, en jonglant avec les pieds ? il demande.
Je sais pas, répond Basilio.
Moi, j’ai réussi quarante-sept, dit Ramiro.
Quarante-sept, c’est bien.
Tu veux que je te montre un peu ?
Comme tu veux.
Ramiro s’éloigne un peu. Il laisse rebondir son ballon une fois au sol et commence à jongler avec ses pieds tout en comptant à voix haute.
Le ballon lui échappe.
Attends, il fait.
Dix-huit, c’est déjà pas mal, dit Basilio.
Attends un peu, répète Ramiro.
Et il recommence à jongler, échoue encore.
Tu sais, on bat pas les records tous les jours, dit Basilio.
C’était pour te montrer, bougonne Ramiro, essoufflé.
Il pose son ballon par terre, s’assoit dessus. Il passe sa main dans la poussière blanche qui couvre le sol.
T’as vu Celestina, aujourd’hui ? il demande.
Basilio hésite une seconde à peine.
Non.
Ramiro ramasse une poignée de poussière et la fait retomber en pluie.
Tu vas faire quoi, maintenant ?
Je vais marcher un peu, dit Basilio.
Si tu veux, tu peux rester un peu avec moi ici, fait Ramiro.
J’ai un travail à faire, dit Basilio.
Ah.
Mais si tu veux, je peux rester un peu.
Je veux bien.
Alors.
Ramiro frappe ses deux mains blanchies de poussière l’une contre l’autre et un nuage se forme.
T’as vu ça ?
Basilio le regarde battre des mains.
Mon père dit que peut-être notre maison a été détruite par les bombes.
Ramiro crache dans ses paumes, les frotte l’une contre l’autre.
De toute façon, je l’aime pas trop, cette maison. Je serai content, si on en a une autre. Toi tu l’aimes, ta maison ?
Ça va, dit Basilio. Enfin, c’est pas vraiment ma maison.
Tous les deux, ils regardent vers la maison où habite Basilio.
En tout cas, elle a pas été bombardée, dit Ramiro.
Si t’as besoin, tu pourras y venir, dit Basilio.
Ramiro se lève d’un coup. Fait mine de dribbler un adversaire avec son ballon.
C’est quoi, le travail que tu dois faire ? il demande.
Je dois finir une peinture.
C’est pour ça que tu veux aller marcher ?
Je dois finir ma peinture là-bas, près du pont de Renteria.
C’est drôle.
C’est un héron. Enfin, je veux dire, une peinture de héron. Je l’ai promise à Celestina.
Un jour, j’aimerais bien que tu m’en fasses un.
Et Ramiro
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