Le Hors Venu
notre souverain. Asclettin, notre archidiacre, s’est retrouvé en prison pour moins que ça.
— L’hypothèse est intéressante, d’Avellino, mais je ne crois pas que ce soit la bonne. Messire de Tarse, vous ne m’avez toujours pas dit ce que vous pensiez 1 de ce singulier message ?
— Oui, qu’en pensez-vous ? ajouta Bartolomeo.
« Nous y voilà », songea Hugues. Quelque chose dans l’attitude de son ancien frère d’armes l’intriguait. Avait-il déjà évoqué la secte des Assassins devant Maion de Bari ? L’avait-il carrément accusé des meurtres ?
Plus personne ne disait mot. D’Avellino retenait son souffle. Le visage d’Hugues s’était fermé. Inquiet, car il ne sentait pas son maître aussi décidé qu’il l’aurait fallu, Tancrède avala sa salive. Quant à ! Maion, il regardait Hugues comme un félin sa proie.
Parfois, l’émir des émirs avait une telle conscience de son pouvoir qu’il faisait d’étranges paris avec lui-même. Ce fut le cas ce jour-là. Il décida en son for intérieur que de la franchise du Gréco-Syrien dépendraient sa vie et celle de son protégé. Qu’il dissimule, et il le ferait jeter en prison. Qu’il dise la vérité... et il attendrait jusqu’à la prochaine fois.
Pensant que la meilleure des armes était la sincérité, Hugues se lança.
— Je me demandais, sire émir, si je devais vous parler de mon passé et de mon frère aîné, Richard de Tarse. Mais je crois que je suis obligé de le faire.
— Je vous écoute, fit l’émir, songeant presque à regret qu’Hugues avait encore avancé le bon pion.
— C’était aux alentours de l’an 1138 et Bartolomeo d’Avellino m’accompagnait alors. À cette époque, Roger II avait des visées sur les États latins d’Orient, d’autant que certains seigneurs normands l’appelaient à l’aide. Pourtant, la guerre que menait Zengi là-bas l’inquiétait, tout comme la façon dont Foulques V d’Anjou régnait sur Jérusalem. Je suis donc parti pour voir ce qu’il en était, résolu, entre autres, à passer par Antioche où je suis né. Un de mes cousins m’apprit que mon frère aîné était à Ispahan et qu’il était devenu le conseiller d’un calife dont le père avait été tué par les Assassins. Dois-je vous expliquer qui sont les Assassins ?
— Je le sais déjà. Nous avons ici un géographe, Al-Idrisi, fort au fait de ce qui se passe dans le monde. Continuez, fit l’émir à la fois agacé et heureux d’avoir perdu son pari.
La partie d’eschets durerait plus longtemps.
Bartolomeo avait dû parler, songea Hugues. Rassemblant ses idées, alors que d’anciennes souffrances se ravivaient, il poursuivit son récit :
— Obligé de quitter l’Irak, le calife Al-Rachid s’était, sur les conseils de mon frère, réfugié à Ispahan où il pouvait espérer quelques appuis. Ma décision était prise : après avoir envoyé un rapport défavorable sur la situation des États d’Orient à Roger II de Sicile, je rejoignis Richard. Mais peut-être d’Avellino vous l’a-t-il déjà raconté ?
— Non, non, allez, je vous prie.
— Nous avons donc, Bartolomeo et moi, rejoint, non sans mal, Richard à Ispahan. La situation là-bas était tendue. Des messages de mort, ressemblant en tout point à ceux que j’ai vus ici, étaient arrivés au calife et à mon frère. Le calife était très malade et ne souhaitait plus qu’une chose : la paix. Décidé à négocier, il voulait envoyer mon frère à Alamut rencontrer le chef des Assassins et lui remettre une rançon en or pour payer sa vie. Mon frère lui avait donné sa parole qu’il le ferait. Le lendemain matin, alors que j’allais le voir pour lui dire que je désirais l’accompagner, je l’ai trouvé agonisant. Quant à la rançon, elle avait disparu... Un message était posé sur sa poitrine.
Hugues s’était arrêté. Il avait débité son récit d’une voix monocorde, laissant Tancrède découvrir avec stupéfaction l’existence d’un frère dont il ne lui avait jamais parlé. Un frère dont la fin avait été si douloureuse qu’il avait tenté de l’effacer de sa mémoire.
Combien de choses encore, se demanda le jeune homme, allait-il découvrir sur son maître ? Combien de terribles révélations, de drames avaient jalonné sa route si complexe ?
— Les Assassins avaient tenté de le tuer et il ne devait qu’à sa robuste constitution de vivre encore. Le calife a exigé alors que je
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