Le Hors Venu
conversation, l’oreille collée au vantail.
— Oui, maître, fit le gamin.
— Sais-tu si le duc Sinibaldo est encore au palais ?
— Oui, messire, je crois savoir qu’il est dans les appartements de la reine où il devait voir sa fille Rosalie.
— Demande-lui, s’il a terminé, de me faire la grâce de me rendre visite.
Ils n’eurent pas longtemps à attendre. Quelques instants plus tard, un pas pesant retentissait dans le couloir et, après un bref coup frappé au vantail, Gaetano annonçait :
— Le duc Ruggero Sinibaldo di Quisquina e delle Rose.
Tancrède, qui s’attendait à voir apparaître un homme de cour, découvrit un guerrier. Le bliaud jaune laissait voir le scintillement métallique d’une cotte de mailles et sur les larges épaules reposait une cape noire retenue par une fibule. La tignasse rousse encadrait un visage aux traits rudes sur lequel le temps avait laissé de profondes rides. Le regard était d’un bleu dur.
L’homme passa devant Tancrède sans apercevoir Hugues qui restait dans la pénombre et alla droit à Maion qu’il apostropha :
— Que me voulez-vous, Maion, que votre page me court après comme une chienne en chaleur ?
Au moment même où il posait cette question, le duc parut réaliser qu’il y avait d’autres gens dans la pièce. Il se retourna et, apercevant Hugues qui s’était levé, rugit :
— Te voilà enfin !
Il le serra contre sa vaste poitrine puis s’écarta pour mieux le voir.
— Tu n’as pas changé !
— Toi non plus, Ruggero. Tu es plus solide encore que dans mes souvenirs.
— Il faut l’être par ces drôles de temps. Enfin, si des hommes comme toi reviennent en Sicile, tout n’est pas perdu.
— Tu as eu mon message ?
— Oui, mon ami.
Le duc parut se souvenir en quelle compagnie ils se trouvaient. Son regard courut de Maion à Tancrède qui s’était dressé, lui aussi.
— Laisse-moi te présenter Tancrède d’Anaor, annonça Hugues, devançant la question qu’il allait poser. Le fils aîné de notre duc Roger.
À cet instant précis, Maion comprit que le jeune homme n’avait jamais vu le duc. Hugues lui avait menti. Au lieu de le mettre en colère, cela l’amusa et le rassura une fois de plus sur l’habileté de son adversaire. « Mais la partie ne fait que commencer », songea-t-il, scrutant avec attention l’échange entre Ruggero et Tancrède.
— Bienvenue en Sicile, messire d’Anaor, déclara l’aristocrate. J’étais un fidèle vassal de votre père et serai fier de vous prêter mon bras et le service des miens si vous le requérez.
Voir ce grand seigneur s’incliner devant lui troubla profondément le jeune homme. Il était une chose de rêver qu’une foule vous acclame et de parader sur son cheval, une autre de voir un homme comme le duc vous saluer avec autant de respect et vous faire déclaration d’allégeance.
— Nous avons beaucoup à te conter, Ruggero, fit Hugues, venant à l’aide de son protégé, mais tout d’abord, j’aimerais te demander un service. L’émir et moi-même avons quelques affaires à régler, et en attendant qu’elles le soient, il serait bon que tu fasses connaître Palerme à notre jeune ami.
— N’en dis pas davantage. J’accepte, bien sûr. Et puis, il faut le présenter à notre roi, je le ferai avec joie.
L’émir, dont tous semblaient avoir oublié la présence, intervint soudain :
— Nous attendrons un peu pour les présentations, cher duc.
— Et pourquoi cela ? s’étonna Ruggero.
— Ces affaires, dont vous parle messire de Tarse, doivent d’abord être résolues. Ensuite, sachez que messire d’Anaor ne doit en aucun cas quitter notre cité. Fût-ce pour visiter l’un de vos nombreux domaines.
Une vive rougeur enflamma le visage de Ruggero. Comme la plupart des aristocrates siciliens, il n’était guère habitué à ce que quiconque mette des limites à sa liberté, encore moins l’émir qu’il considérait comme un vil parvenu.
— De quel droit empêche-t-on le fils du duc Roger d’aller et venir librement ?
Habitué aux éclats des barons normands, Maion resta impassible.
— Du droit de notre roi Guillaume, messire, répondit-il. Le seul auquel j’obéisse.
— Alors, allons voir le roi ! s’écria le duc hors de lui. Je ne veux pas croire qu’il puisse autoriser une telle chose.
Hugues, qui craignait quelque parole irréparable tant pour son ami que pour son protégé, saisit le bras du duc
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