Le Hors Venu
la couleur orangée le fascinaient. Comme les voiles des anciens mythes, il semblait là pour masquer l’indicible, la beauté et le mystère aux yeux des mortels. Le balcon, d’où il apercevait les voûtes sculptées et les peintures du plafond qu’éclairaient les derniers rayons du soleil, surplombait une salle dont les hautes portes ouvraient sur un jardin.
Oubliant tout ce qui l’entourait, fasciné, Tancrède laissa le voile effleurer son visage. Combien de femmes y avait-il là ? Il n’aurait su le dire, deux cents... Trois cents...
Un bruit mouillé guida son regard vers une fontaine. L’eau qui s’en écoulait passait dans un bassin avant de gagner le jardin par une série de canaux où filaient des poissons aux reflets d’argent. Sur une île, au milieu de la pièce d’eau, poussaient des buissons de lauriers-roses.
Des mosaïques d’or et de pourpre, des colonnades ouvragées, de somptueux tapis et tentures attiraient l’œil, mais ce n’était rien en comparaison de ces bouquets de fleurs aux couleurs vives qu’étaient les femmes. Vêtues de soieries transparentes, parées de bijoux des chevilles jusqu’aux cheveux, chantant, dansant, elles riaient et discutaient comme des enfants libres et sans souci.
Il y avait là des Syriennes, des Chypriotes, de fières et grandes Éthiopiennes, des Byzantines, des Andalouses et, au milieu de ces chevelures brunes, de ces peaux mates, la blancheur et la blondeur d’une Esclavone, ces femmes slaves aux corps minces et souples comme ceux des damoiseaux.
— Où les femmes sont si belles qu’on les enferme..., murmura la voix moqueuse d’Hugues à son oreille. Encore un pan de votre prédiction qui se réalise. Je vous avais prévenu, les femmes orientales sont belles... parfois trop. Venez, mon ami, notre hôte ne va pas tarder.
Encore ébloui, déjà sous le charme d’un visage entrevu, d’un rire, d’un corps gracieux, d’une chevelure, Tancrède s’arracha à regret à la contemplation du harem et suivit son maître vers les banquettes de tissu.
Au même moment, le caïd entra, accompagné d’une femme à la chevelure flamboyante.
45
Au premier abord, Rochésie était si petite qu’on aurait dit une enfant. Elle marchait en faisant cliqueter les bijoux de ses chevilles. Nue jusqu’à la taille qu’elle avait très fine, ses seins ronds fièrement dressés, elle tenait en laisse un minuscule singe en gilet et culotte de soie qui jouait avec les boucles de sa longue chevelure.
— Voici Rochésie. Elle parle latin, messire.
— Le bonjour, Rochésie, assieds-toi, fit doucement Hugues.
— Le bonjour, messires, fit la jeune fille que les pirouettes de son animal favori semblaient davantage intéresser que la présence des étrangers. Sucre, sois gentil ! ordonna-t-elle en tirant sur la laisse.
Le singe sauta sur son épaule où il se nicha.
— Il est mignon, n’est-ce pas ? Il s’appelle Sucre.
— Quel âge as-tu ? demanda Hugues.
— Je ne sais, messire. Treize ou quatorze ans... ou plus.
— Tu es là depuis quand ?
— Depuis quelques mois, messire.
Elle se tourna vers le caïd Pierre qui précisa :
— Elle est là depuis six mois.
— Ma famille et moi étions sur le marché aux esclaves. Un émir m’a achetée en présent pour le roi.
— Six mois. Et qu’as-tu fait pendant tout ce temps ?
— Oh, cela a passé vite, messire ! J’ai appris le latin, la danse, la musique. Et Théodora m’a enseigné d’autres arts.
— C’est Théodora qui t’a formée ?
— Oui. Elle dirige le harem et s’occupe de notre éducation et de bien d’autres choses encore. Elle est sévère parfois, mais juste. Vous savez, messire, plaida la petite, on est comme des soldats ou des moines.
Tancrède songea qu’il n’avait jamais vu d’aussi joli soldat ni d’aussi joli moine. Il s’obligeait à regarder le singe qui jouait avec ses boucles rousses pour ne pas fixer le bout pointu de ses seins.
— Elle est comment, Théodora ?
— Belle !
Le mot avait jailli spontanément. Un peu de rouge monta à ses joues.
— Les autres ne l’aiment pas, mais moi je la trouve si… si…
Elle ne trouvait pas ses mots et conclut :
— Je voudrais devenir comme elle plus tard.
— La nuit où l’eunuque Philippe a été tué, où étais-tu, Rochésie ?
Au souvenir de cet événement qui lui avait donné des cauchemars, la petite eut une grimace effrayée, la faisant plus que jamais
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