Le Hors Venu

Théodora.
    — C’est sa favorite ?
    — Elle l’a été, mais depuis, elle est mieux que ça. Elle est sa confidente, celle qui comprend ses désirs et les réalise.
    — Continuez.
    — Elle était souffrante, mais avait fait préparer le bain du roi.
    — De quoi souffrait-elle ?
    — Je ne sais pas.
    — Et quand le roi est arrivé, vous n’êtes pas allé la chercher ?
    — Si, mais je ne l’ai pas trouvée.
    — Elle n’était pas dans sa chambre ?
    — Non, j’ai pensé qu’elle était allée voir le mire.
    — C’était le cas ?
    — Non, elle n’y était pas non plus, mais elle est apparue quand le roi Guillaume a eu fini son bain et elle lui a amené Rochésie.
    Le Gréco-Syrien se tourna à nouveau vers la courtisane.
    — Que s’est-il passé la nuit dernière, Amina ? Dormais-tu ?
    — Non, pas plus qu’avant ; il y avait cet orage et j’étais en colère contre cette gamine qui m’avait volé l’amour du roi... et contre Théodora.
    — Tu as vu Théodora, cette nuit-là ?
    — C’est elle qui est venue pour me dire que tout ça n’était qu’une passade. Nous avons parlé longtemps.
    — Lui as-tu avoué que tu avais vu un homme entrer chez elle, la nuit du meurtre de Philippe ?
    — Non. Peut-être l’aurais-je fait plus tard... Je ne sais pas. Théodora est plus intelligente que moi.
    — Merci, Amina.
    — C’est fini ? Je peux retourner au harem ? demanda la courtisane, craignant encore qu’Hugues ne l’envoie en prison.
    — Oui, si j’ai besoin, je te ferai chercher.
    Le caïd raccompagna la courtisane dont les jambes tremblaient sous elle.
    — Par Dieu, Hugues, vous avez été rude ! s’écria Tancrède. Cela étant, à l’écouter, je me demande si le fait de posséder un harem est si enviable.
    — Je voulais l’effrayer et le temps nous manque. Je suis sûr que dans l’écheveau que nous devons démêler, la mort de l’eunuque Philippe est importante. Pourquoi a-t-il été tué cette nuit-là et par qui ? Pourquoi le meurtrier a-t-il trouvé refuge chez l’« intelligente » et « belle » Théodora ? C’est à nous de le découvrir.
    Un grattement à la porte. Une esclave entra, munie d’un flambeau. Elle alluma tous les candélabres de la pièce puis ressortit.
    Tancrède réalisa que la lueur orangée avait déserté le voile, la nuit venait et, avec elle, d’autres lumières. Il s’approcha du balcon. En contrebas, des eunuques fermaient les baies. Les femmes se dispersaient. Une torche éclairait un banc de pierre où jouait un musicien.
    Le silence retomba entre eux. Tancrède hésita, puis posa la question qui occupait son esprit depuis les révélations faites par son maître à l’émir des émirs.
    — Pourquoi ne m’avez-vous jamais parlé de votre frère Richard ni de ces terribles Assassins ?
    — Il y a tant de choses que je ne vous ai pas racontées, Tancrède. Par manque de temps, par pudeur, parce que votre éducation m’importait plus que le reste. Pour Richard, sans doute parce que c’est resté quelque chose de trop douloureux. Quant aux Assassins... Il m’a fallu traverser un pays où jamais aucun chrétien n’avait mis les pieds. Une contrée rude et sauvage, peuplée de gens plus rudes encore. Alamut était un nid d’aigle perché sur une crête au cœur des monts d’Elbourz. Un château protégé par une dizaine de forteresses surveillant des cols et des vallées, toutes aux mains des serviteurs du Vieux de la Montagne. Des lieux imprenables même par des armées puissantes. Mais jamais je n’aurais pu imaginer ce qui m’attendait là-bas... ni quel homme était le Vieux.
    — Et Richard ?
    — Quand je suis revenu à Ispahan, il était mort des suites de ses blessures. Et le calife Al-Rachid aussi, égorgé par la dague d’un fidâ’î.
    Hugues s’interrompit. Des pas résonnaient et Tancrède jura intérieurement. Pourtant, à peine la porte s’ouvrit-elle qu’il oublia les Assassins et le reste. L’eunuque s’était effacé pour laisser passer une femme. Le jeune Normand comprit pourquoi Rochésie avait si spontanément évoqué la beauté de Théodora.

 
    LE CHOIX DE THÉODORA

 
    46
    Dame Elvire avait annoncé à Eleonor que le sire d’Avellino désirait dîner avec elle. Une fois le soir venu, Eleonor, qui s’était changée et avait revêtu une robe de drap vert, enferma Tara dans sa chambre et suivit la gouvernante jusqu’à une vaste salle au milieu de