Le Hors Venu
avait conclu Hugues en refermant la porte de leur appartement.
Le regard de Tancrède parcourut la vaste pièce aux lits garnis de coussins. Dans un angle se trouvait la table de travail avec les registres que son maître s’était fait apporter. Il alla à la fenêtre qu’il ouvrit, recherchant la fraîcheur vivifiante du greco.
— Dormez ! conseilla son maître. J’ai idée que la nuit va être courte. Vous me relaierez ensuite.
— Comme vous voulez, fit-il en se jetant tout habillé au milieu des coussins.
Et il s’assoupit avec cette facilité que lui enviait son maître.
Hugues ouvrit le premier registre. Celui des prisonniers de l’hiver précédent. C’était un document que personne n’avait encore consulté, le maître capitaine n’ayant pas songé à remonter si loin dans le temps. Il arriva bientôt à la page où figurait Simon de Policastro. Les noms défilaient. Ses yeux se brouillaient parfois, ses idées aussi.
La pensée qu’Eleonor était en danger ne le quittait pas. La savoir entre les mains de d’Avellino le rendait fou. Devait-il voir un signe dans le fait que les deux seules femmes qu’il ait vraiment aimées aient été captives de Bartolomeo ? Hugues n’aurait jamais pensé revivre un jour les affres de l’amour. Et pourtant, Eleonor... La passion qu’elle lui inspirait était d’autant plus violente que, depuis leur rencontre à Barfleur, elle n’avait été accompagnée que d’interdit et de frustration. Tout d’abord promise à un autre, désormais prisonnière de son pire ennemi... Était-il écrit quelque part que l’amour ne devait lui apporter que souffrance ?
Il soupira, essayant de revenir à la double enquête qu’il devait mener et au registre placé devant lui. Ce qui le souciait le plus était la présence des Assassins. Il n’était pas impossible qu’ils soient en Sicile. Le Vieux était prêt à tout pour accroître son pouvoir et avait même déjà essayé de s’en prendre aux Templiers. Il n’hésitait pas à monnayer fort cher les services de ses fidâ’î , concluant parfois de surprenantes alliances avec des sultans et parfois même des chrétiens.
Par contre, il voyait mal le pourquoi de cette affaire. Guillaume I er venait de remporter une éclatante victoire en Italie, mais en même temps laissait se réduire l’empire qu’avait bâti son père Roger II et n’avait visiblement aucun désir d’expansion en Orient. Y avait-il quelque lien entre le Vieux de la Montagne et un puissant baron normand ? L’un d’eux arrivait peut-être d’Orient ou y avait des intérêts que contrecarrait la politique de Guillaume I er . Tout cela demandait du temps, et il n’en avait pas.
Son regard se fixa à nouveau sur le registre, un nom était apparu, celui de l’archidiacre de Catane, Asclettin. Il fallait en finir avec le fugitif. Même si les soldats du roi ne l’avaient pas encore trouvé, savoir qui il était serait déjà une première victoire. Son instinct lui disait que Gamaliel était l’un des compagnons de l’archidiacre. Suffisamment proche du pouvoir pour côtoyer Théodora, suffisamment puissant pour lui plaire. Sur la page figurait une longue liste de seigneurs et de chevaliers jetés en prison au même moment. Hugues ne put s’empêcher de maudire sa malchance, ces hommes-là n’étaient inscrits que par les initiales de leurs prénoms suivies des noms de leurs fiefs dans les Pouilles ou en Sicile. Ainsi se suivaient les noms de F.G. di Cervinara, G. di Foggia, R. di Avelario et de bien d’autres. Et les lettres G étaient nombreuses. Gamaliel se dérobait à nouveau.
Un grattement à la porte interrompit les réflexions de l’Oriental. Alors qu’il se levait, un pli apparut sous le vantail. Quand il ouvrit, le couloir était désert.
Pensif, il retourna à sa table et s’absorba dans la lecture du mystérieux message.
Aucune signature n’était nécessaire, Hugues était sûr que ce message-là venait du Chypriote. Que devait-il faire ? Abandonner les recherches qu’il menait ici et voler au secours d’Eleonor ? Il savait que s’il faisait cela malgré l’interdiction de quitter la Galea, ils auraient la Légion aux trousses et Maion les condamnerait à mort.
Un courant d’air éteignit sa bougie, plongeant la pièce dans l’obscurité. Il avait mal refermé la porte et elle s’était rouverte. Il allait se lever quand il entendit un bruit. Il s’immobilisa et posa la main sur la garde
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