Le Hors Venu
de son poignard quand le bruit se répéta. Plus rien, le silence était retombé. Pourtant il était sûr de ne pas avoir rêvé.
Il traversa la pièce et se glissa dehors, les torches étaient éteintes et seule la clarté de la lune qui pénétrait par les hautes fenêtres éclairait le dallage. Dans cette lumière diffuse, il lui sembla discerner une masse sombre. Il s’approcha et découvrit les corps inanimés des gardes. La porte de l’appartement de Maion était entrouverte.
56
Gamaliel s’était arrêté, le cœur battant. Au milieu d’un grand lit aux montants de bois sculpté, protégé par des tentures, dormait l’émir des émirs. Trop énervé pour réussir à trouver le sommeil, Maion avait bu une des potions de Grimoald à base de pavot d’Orient et s’était enfin laissé couler dans un bienheureux oubli.
Gamaliel s’approcha pour mieux voir le visage de celui qu’il s’était juré de tuer, celui qui, sans raison, avait condamné son ami Asclettin et tant d’autres, celui par qui était morte son amante...
Le souffle de l’émir soulevait les draps, une de ses mains ornées de bagues pendait dans le vide.
Gamaliel n’entendit pas le bruit de course dans le couloir. Il leva son arme, et bascula en avant, entraîné par Hugues. Les deux hommes roulèrent à terre, étroitement enlacés.
Maion de Bari se réveilla en hurlant et appela : « À la garde ! », faisant accourir Tancrède. Au milieu de la chambre, bousculant les poufs, déchirant les tentures, Gamaliel et Hugues se battaient.
Le fugitif avait une force de possédé. Esquivant, plongeant, frappant avec une énergie si désespérée et tant de violence que le Gréco-Syrien avait du mal à contenir ses assauts. Plus le temps passait, plus les forces d’Hugues s’épuisaient et l’ardeur de son adversaire se renforçait. Le khandjar de Gamaliel était partout. Tancrède regardait son maître avec inquiétude quand Simon et des gardes de la Légion arabe entrèrent.
Maion, rassuré par cette irruption, leur fit signe de ne pas intervenir et un cercle se forma autour des combattants. La pièce résonnait de leurs cris de rage et de leurs halètements. Soudain, la lame de Gamaliel décrivit un arc rouge sur le flanc de l’Oriental qui recula d’un bond. Gamaliel chargea alors si violemment qu’il renversa Hugues. Tancrède sentit son cœur bondir dans sa poitrine, une lueur d’excitation s’alluma dans le regard de Maion de Bari... Hugues tenait bon, mais ses forces l’abandonnaient, la lame se rapprochait de sa gorge... Alors, oubliant les préceptes chevaleresques qu’il avait enseignés à son protégé, il décocha un violent coup de genou entre les cuisses de Gamaliel et réussit à se dégager.
Tancrède se jeta sur le fugitif et saisit le poignet qui tenait l’arme, forçant Gamaliel à ouvrir les doigts.
— Relève-toi, ordonna Hugues qui le menaçait maintenant de son épée. Gamaliel ! Lève-toi. Tout est fini.
À l’appel de son nom, le fugitif obéit. Il était décharné et livide. Son regard allait de Maion de Bari à celui qui l’avait vaincu.
L’émir des émirs s’approcha pour voir son visage et parut dépité de ne pas le reconnaître.
— Quel est ton nom ? demanda-t-il.
La silhouette maigre s’était redressée, Gamaliel paraissait soudain grandi et l’on devinait quel homme il avait dû être.
— Un des vassaux de ton roi, lâcha-t-il, le souffle court. Un fidèle serviteur. Tu en as trop jeté en prison pour te souvenir de chacun d’entre nous, mais on finira par te tuer, prédit Gamaliel en lui crachant à la face.
— Emmenez-le ! ordonna Maion avec mépris.
— Vous ne m’empêcherez pas de rejoindre ceux que j’aime ! hurla Gamaliel.
Et, avant que quiconque ait pu faire un geste, il se jeta sur la lame avec laquelle Hugues le tenait toujours en respect. Une grimace de douleur le défigura. Il tomba à genoux, tenant le fer qui l’avait transpercé.
Stupéfait, Hugues regarda le corps de son tragique ennemi basculer alors que Tancrède se précipitait pour murmurer à l’oreille du mourant :
— Théodora m’a fait promettre de vous dire qu’elle vous aimait.
Les yeux de Gamaliel s’agrandirent, il eut un dernier soubresaut. Il était mort.
L’alerte sonnait toujours. Alors que le plus grand désordre régnait encore dans les appartements de l’émir et que Tancrède aidait son maître à nouer un tissu autour de son torse pour arrêter le
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