Le Hors Venu
avait avoué sa passion. Mais quelque chose dans la façon dont elle parlait de son frère, dans la trop grande intimité qu’elle avait avec lui, avait éveillé sa jalousie. La nuit où ils s’étaient donnés l’un à l’autre, elle s’était confiée, expliquant que l’amour qu’elle portait à Bartolomeo était différent de celui qu’elle éprouvait pour lui. Tout à son récit, elle ne s’était pas rendu compte de la violence qu’elle faisait lever en lui. Fou de douleur, il avait failli la tuer et, le soir même, l’avait ramenée au palais d’Avellino...
— Bien que j’aie fini par apprendre la raison de ton départ, dit d’Avellino, pendant des années, je t’ai cherché en vain. Et puis un jour, j’ai su que tu avais rencontré l’abbé du Mont-Saint-Michel. Je suis donc parti vers la Normandie et j’ai fini par te retrouver. Là-bas, j’hésitais entre t’éliminer purement et simplement j’avais même payé des gens pour t’exécuter – ou te ramener en Sicile. Le problème a été résolu quand j’ai su que tu t’apprêtais à embarquer à Barfleur avec ton protégé. La suite, tu la connais, j’ai rencontré la demoiselle de Fierville. Et là, alors que je ne cessais de t’observer, j’ai compris à ta façon de l’éviter que tu étais tombé amoureux. À l’escale de La Rochelle, je vous ai laissés, passant par voie de terre pour arriver ici avant vous. Lorsque j’ai su que tu la recherchais en Sicile, j’ai été fou de joie – tu vois, toujours la folie... Et quand mon ami de Marsico m’a prié de prendre soin d’elle, tu imagines mon bonheur.
— Où est-elle ? demanda Hugues dont l’angoisse avait grandi au fur et à mesure du récit.
— Ici, rassure-toi. Nous avons même dîné ensemble, parlé du pendentif de ta mère...
Ainsi Eleonor ne l’avait pas oublié, songea Hugues. Bartolomeo fronça les sourcils et jeta avec fureur :
— Comment oses-tu penser à une autre dans la chambre de celle que tu as assassinée ?
— Tu sais bien que je ne l’ai pas tuée. Tu es le seul responsable de sa mort, Bartolomeo. Tu...
Hugues n’acheva pas sa phrase. D’Avellino avait hoché la tête, il sentit comme un souffle, puis ce fut le trou noir.
62
Tancrède avait attrapé la corde que lui avait lancée Raoul, l’homme du Chypriote, et s’était hissé près de lui sur le faîte du mur. D’un côté ils voyaient la ruelle en contrebas et de l’autre un jardin si touffu que seul le premier étage du palais d’Avellino restait visible.
— Vous avez aperçu mon maître ?
— Il est dans le palais, répondit Raoul.
Tancrède n’aimait guère le plan qu’avait imaginé Hugues. Entrer seul était, à son avis, une pure folie. Quant à lui, il devait surveiller le palais avec l’Esclavon et ne pénétrer dans les lieux qu’en compagnie des hommes du duc.
À contrecœur, Tancrède s’installa le plus confortablement qu’il le put, essayant de calquer son attitude sur celle, attentive et patiente, de l’Esclavon. Il avait à peine réussi à se convaincre du bien-fondé des conseils de son maître qu’un bruit de cavalcade retentit. Tout joyeux, il allait dérouler la corde pour se laisser glisser dans la ruelle quand Raoul lui fit signe de se dissimuler. Ceux qui arrivaient là n’étaient autres que les hommes de la Légion qui, de toute évidence, quadrillaient Palerme.
Le temps passa, les cavaliers étaient repartis, mais le choc des sabots de leurs destriers résonnaient encore dans les ruelles avoisinantes. Enfin une voiture bâchée apparut, qui se rangea au début de la ruelle. Ibrahim était là. Il ne restait plus qu’à attendre Ruggero.
Soudain, un cri strident retentit. Tancrède se dressa aussitôt.
— Lance la corde ! ordonna-t-il à l’Esclavon. J’y vais. Et si le duc arrive, ouvre-lui ce satané portail !
Quelques secondes plus tard, il traversait le jardin en courant en direction du palais.
63
Quand Eleonor avait entendu des pas, elle avait cru que d’Avellino était de retour et avait rouvert les yeux. Mais c’est Marco qu’elle avait vu apparaître, portant sur son dos une silhouette inerte qui ressemblait...
Un cri lui avait échappé.
Marco jeta le corps sur le sol. C’était bien Hugues, les yeux clos, le visage en sang. Eleonor tira sur ses chaînes comme une possédée.
— Tu vas te calmer ! gronda l’homme. Ou faut-il que je te règle ton compte, à toi aussi ?
Il avait fait le geste
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