Le Huitième Péché
d’ajouter, non sans agacement : si je ne me trompe pas…
Le docteur Lizzani ne se laissa pas distraire.
— Avez-vous des parents à Rome, que nous pourrions prévenir ?
— Non.
— Vous êtes ici en vacances ?
— Non, plutôt en déplacement professionnel.
Et c’est sur le ton d’une conversation professionnelle que le dialogue entre le médecin et son patient se poursuivit.
— Nous allons vous garder ici quelques jours en observation, signor Malberg. Ne vous inquiétez pas pour ces trous de mémoire concernant l’accident. C’est tout à fait normal. Vos souvenirs vont revenir petit à petit.
— Et les fils ? demanda Malberg en jetant un regard noir à l’appareil auquel il était relié.
— L’infirmière va vous enlever ça.
Quand l’infirmière eut quitté la pièce en emportant les écheveaux de fils, Malberg regarda autour de lui. Mis à part le moniteur dont les câbles pendaient comme les tentacules d’une pieuvre, il n’y avait rien à voir.
Des murs blancs, une penderie blanche et une chaise blanche avec ses habits posés dessus. Sur la table de nuit en métal laqué blanc, il aperçut son portefeuille et, à côté, le petit carnet qu’il avait pris dans l’appartement de Marlène. À voir cet objet, il eut un choc. Il se sentit mal.
Il se mit à feuilleter l’agenda. Ses mains tremblaient. L’écriture maladroite de petite fille ne correspondait pas à l’assurance qu’affichait Marlène quand on la voyait. Mais ce qu’il y découvrit l’étonna plus encore : pas de noms, pas d’adresses, rien que des mots incompréhensibles, comme un message codé. Que signifiaient-ils ?
Lætare : Maleachi
Sexagesima : Jona
Remiscere : Sacharja
Ocul : Nahum
Malberg avait eu tort de redouter que son nom pût être consigné dans ce petit carnet. Il ne contenait d’ailleurs aucun nom normal. Perplexe, il reposa l’agenda.
Marlène ! Il revit tout à coup sa tête plongée sous l’eau, et ses longs cheveux qui flottaient tout autour, pareils à des algues. Cette vision resterait à jamais gravée dans sa mémoire.
C’est alors que surgirent les premières questions : dans la panique du moment, avait-il réagi correctement ? N’aurait-il pas mieux fait de prévenir la police ? Quelle raison avait-il de s’enfuir ? N’était-il pas par-là même devenu suspect ? Et la concierge ? Ne l’avait-elle vraiment pas vu ? Si une confrontation devait avoir lieu, le reconnaîtrait-elle ?
Des rafales d’idées et d’hypothèses se bousculaient dans son cerveau confus. Les images se superposaient les unes aux autres, ajoutant à sa perplexité. Et, au milieu de tout cela, Marlène, les yeux écarquillés sous l’eau. Comme elle avait dû souffrir avant que la mort ne vienne la délivrer !
Jamais de sa vie il n’avait encore vu la mort de si près. Lorsqu’il apprenait par le journal ou la télévision la disparition de quelqu’un, il en prenait acte, mais cela ne l’avait encore jamais vraiment touché.
La mort de Marlène, elle, l’affectait au plus profond de lui-même. À présent, il prenait conscience de tous les espoirs qu’il avait placés dans ses retrouvailles avec sa belle camarade de classe.
En proie à une vive agitation, il se leva. Il fallait qu’il sache ce qui était arrivé à son amie. Il ne voulait pas, il ne pouvait pas rester ici plus longtemps. Il était encore trop faible, mais sa décision était prise : demain, il quitterait l’hôpital.
4
La route était étroite, sinueuse et escarpée. Après le long trajet nocturne, c’était maintenant Soffici, le secrétaire du cardinal, qui était au volant. Alberto dormait à sa droite. Même les cahots causés par les profonds nids-de-poules de la chaussée dépourvue de revêtement ne le réveillaient pas.
Soffici abordait en première les épingles à cheveux serrées. De part et d’autre de la route, les branches basses du sous-bois venaient fouetter le pare-brise.
— Pourvu qu’aucun véhicule n’arrive en face, finit par remarquer le cardinal secrétaire d’État Gonzaga, qui se taisait depuis un long moment.
Il se tenait toujours aussi droit et figé sur la banquette arrière. Il n’avait pas fermé l’œil de tout le trajet.
Ils avaient quitté l’autoroute après Wiesbaden et, depuis, Gonzaga s’était chargé d’indiquer la route en suivant un itinéraire noté sur une feuille de papier.
Leur périple devait les mener sur la rive droite du Rhin
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