Le Huitième Péché
D’autres questions ?
Au bout du fil, la femme eut une exclamation amusée.
— Lukas, tu ne changeras jamais ! Toujours le mot pour rire !
— Nous avions rendez-vous, tu te souviens ?
— Je sais, mais je ne suis vraiment pas du matin. Écoute, je passe te chercher dans une heure. Ensuite nous nous rendrons ensemble chez la marquise. À tout de suite !
Lukas regarda le combiné, surpris. On aurait dit qu’il attendait encore un au revoir, mais Marlène avait raccroché depuis belle lurette.
Il connaissait bien le caractère lunatique de Marlène, sa manie de prendre des décisions sur un coup de tête ou de suivre ses élans d’enthousiasme. Ils avaient partagé pendant deux ans le même banc à l’école.
Mais, comme c’est si fréquemment le cas, ils s’étaient ensuite perdus de vue et ne s’étaient retrouvés que pour fêter les vingt ans de leur baccalauréat. Lénou – c’était le surnom un peu cavalier qu’il avait donné autrefois à Marlène – l’avait surpris.
On pouvait même aller jusqu’à dire qu’elle l’avait séduit. Lénou, la petite bourgeoise d’autrefois, était devenue une superbe femme très sexy.
Peu de temps après le bac, elle avait abandonné ses études de biologie. Marlène était incapable d’expliquer ou ne voulait pas expliquer ce qui l’avait amenée à s’installer à Rome. Elle n’avait pas non plus dit de quoi elle vivait au juste.
Toujours est-il que, contrairement à toutes les autres filles de la classe, elle n’était pas mariée. Ce qui ne manquait pas de surprendre.
Lukas Malberg, bouquiniste de profession, vivait à Munich où il avait pignon sur rue. Marlène lui avait fait très forte impression.
Lorsqu’elle lui avait téléphoné la semaine dernière, elle avait fait allusion, en passant, à une marquise ruinée de sa connaissance, qui voulait se séparer de la collection de livres de feu son mari – une collection qui comptait entre autres quelques ouvrages précieux datant du quinzième siècle.
Malberg lui avait immédiatement manifesté son intérêt. En réalité, il n’avait pas entrepris ce voyage à Rome uniquement à cause des livres.
Malberg était un sémillant célibataire, Marlène une femme attirante. Et Rome offrait le décor idéal pour une aventure plaisante.
Marlène n’était évidemment pas à l’heure. Lukas s’y attendait. La circulation dans Rome rend hasardeux tout rendez-vous précis. Vers midi et demi, elle n’était toujours pas arrivée ; Malberg appela la jeune femme sur son mobile. Il fut transféré sur sa boîte vocale.
Il essaya de la joindre à son numéro de fixe, et tomba sur un disque : « Le numéro que vous avez demandé n’est pas disponible actuellement. »
Pensant s’être trompé en numérotant, Lukas renouvela son appel.
Après la troisième tentative, il renonça. Perplexe, il observa la rue par la fenêtre. Au bout d’une demi-heure d’attente, il décida d’appeler à nouveau.
« Le numéro que vous avez demandé n’est pas disponible actuellement. »
Malberg s’inquiétait. Si Marlène avait eu un contretemps, pourquoi ne l’avait-elle pas appelé ?
Sur une petite feuille, il avait noté son adresse à côté des numéros de téléphone : Via Gora 23. Devant la porte de l’hôtel, Malberg héla un taxi.
Avec ses cinq étages, comme presque tous les immeubles de la rue, celui situé dans le Trastevere donnait l’impression d’être un peu à l’abandon.
Datant du siècle dernier, son porche majestueux, flanqué de deux hautes colonnes, ne pouvait masquer la nécessité d’une rénovation.
Malberg avait appris de la bouche même de Marlène qu’elle habitait un vaste appartement sous les toits avec terrasse et vue sur le Tibre et le Palatin.
Il se dirigea vers l’ascenseur en passant devant une plantureuse concierge qui l’observa avec un air faussement détaché par la porte entrebâillée de sa loge. Il avisa le nom de la gardienne sur une plaque : Fellini. Cela le fit sourire. L’incroyable ascenseur en acajou foncé, avec ses vitres taillées en biseau, descendit au rez-de-chaussée ; avant même qu’il ait posé un pied à l’intérieur, la machine poussait déjà des cris plaintifs et des gémissements qui retentirent dans toute la cage d’escalier. Malberg, qui nourrissait une grande méfiance à l’égard de tout moyen de locomotion n’opérant pas sur la terre ferme, opta pour l’escalier.
L’air y était étouffant.
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