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Le hussard

Le hussard

Titel: Le hussard Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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faire tomber Letac, hum, de cheval.
    — Lola veut dire Dolores, n’est-ce pas ?
l’interrogea Bourmont. Je crois qu’il s’agit d’un diminutif, un petit nom
familier.
    Philippo poussa un bruyant soupir.
    — Dolores… Lola… Qu’importe ? Tous les noms lui
siéraient.
    — Il me plaît… commenta Frédéric, en répétant plusieurs
fois le nom à voix haute. Ça sonne bien, non ? Avec quelque chose de
sauvage, de primitif. Très espagnol, assurément. Est-elle belle ?
    Philippo émit un doux gémissement.
    — Vous l’avez dit ! Plus que belle ! Mais ce
que vous ignorez, c’est qu’elle a été, indirectement bien entendu, la coupable
de…
    — … votre dernier duel, compléta Bourmont.
    — Ah ! Vous connaissez l’histoire ?
    —  Tout le régiment connaît l’histoire, affirma
Bourmont d’un air ennuyé. Vous l’avez contée vingt fois, mon cher.
    — Et alors ? répliqua Philippo, prenant la mouche.
Même si je l’avais racontée cent fois, elle continuerait d’être la même et Lola
resterait toujours Lola.
    — Allez savoir avec qui elle est en ce moment, glissa
Bourmont en adressant un clin d’œil furtif à Frédéric.
    Philippo tapota de nouveau la poignée de son sabre.
    — Il y en a un, en tout cas, avec qui elle n’est
sûrement pas : c’est cet imbécile du 11 e de ligne que j’ai
surpris un soir en train de rôder autour de sa demeure… Je lui ai dit de me
suivre pour régler la question en un lieu discret, et il m’a répondu qu’il
était interdit de se battre dans l’armée française. Me dire ça à moi, le
lieutenant Philippo ! Je lui ai donc emboîté le pas jusqu’à son
cantonnement et, arrivé devant la porte, j’ai fait un tel tapage que c’est tout
juste si les camarades du pauvre diable n’ont pas dû le traîner dehors pour
qu’il ne déshonore pas le nom de son régiment.
    — Vous lui avez administré un bon coup de sabre, se
souvint Bourmont.
    — Plusieurs, oui ! Il est tombé comme un sac de pommes
de terre, et on l’a emporté plus mort que vif.
    — J’avais cru comprendre qu’il n’y en avait eu qu’un.
Et que votre adversaire était reparti sur ses jambes.
    — Vous avez été mal informé.
    — Si c’est vous qui le dites…
    Ils restèrent un moment silencieux, prêtant l’oreille au
grondement lointain de la bataille qui se déroulait derrière les collines.
L’infanterie devait passer un mauvais quart d’heure, pensa Frédéric, attentif
aux détonations.
    — Un jour, j’ai tué une femme, murmura Bourmont
inopinément, comme s’il avait soudain décidé de se confesser à voix haute.
    Ses camarades le regardèrent avec stupéfaction.
    — Toi ? s’étonna Frédéric, incrédule. Tu
plaisantes, Michel !
    Bourmont nia de la tête.
    — Je suis tout ce qu’il y a de plus sérieux, dit-il en
fermant à demi les yeux comme s’il avait du mal à évoquer ce souvenir pénible.
Ça s’est passé à Madrid, le 2 mai, dans une des ruelles qui se trouvent
entre la Puerta del Sol et le Palais royal. Philippo se rappellera sûrement
cette journée, parce qu’il y était aussi…
    — Ah, si je me rappelle ! confirma l’intéressé.
J’ai failli vingt fois y laisser ma peau !
    — Les Madrilènes s’étaient soulevés, poursuivit
Bourmont, et ils attaquaient nos troupes avec tout ce qui leur tombait sous la
main : des pistolets, des fusils, et ces poignards espagnols très longs
qu’on appelle des navajas… C’était une mêlée monstrueuse dans toute la ville.
Ils nous tiraient dessus des fenêtres, lançaient des tuiles et des pots de
fleurs, et même des meubles. J’étais en route pour porter un message au duc de
Berg, quand j’ai été surpris par le tumulte. Des garnements ont commencé à me
lancer des pierres, et ils ont presque réussi à me faire vider les étriers. Je
les ai effrayés facilement, j’ai trotté jusqu’à la Plaza Mayor pour faire un
détour, mais là, sans que je sache comment, j’ai été pris à partie par la
populace. Il y avait une vingtaine d’hommes et de femmes, et, apparemment, les
mamelouks venaient de tuer l’un des leurs qu’ils portaient à bout de bras, en
laissant des traces sanglantes sur la chaussée. À ma vue, ils se sont jetés sur
moi comme des fauves en brandissant des pieux et des couteaux. Les femmes
étaient les pires, elles hurlaient comme des harpies et s’accrochaient à mes
rênes et à mes jambes en essayant de me faire tomber de

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