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Le hussard

Le hussard

Titel: Le hussard Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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cheval…
    Frédéric écoutait son ami avec attention. Bourmont parlait
lentement, d’une voix presque monocorde, en s’arrêtant par moments, comme s’il
s’efforçait de mettre de l’ordre dans ses souvenirs.
    — J’ai dégainé mon sabre, continua-t-il, et, à cet
instant, j’ai reçu un coup de navaja dans la cuisse. Le cheval s’est cabré, et
il s’en est fallu de peu que je ne sois désarçonné, ce qui aurait fait de moi
sur-le-champ un homme mort. Je dois reconnaître que j’étais épouvanté.
Affronter l’ennemi est une chose, mais une foule en folie qui vocifère… Bref,
j’ai piqué des éperons pour me frayer un passage, tout en expédiant des coups
de sabre à droite et à gauche. C’est là qu’une femme, dont j’ai à peine vu le
visage mais dont je me rappelle le fichu noir et les cris, s’est pendue au mors
de mon cheval comme si elle avait décidé de mourir plutôt que de me laisser
passer. J’étais étourdi par les coups et la douleur de ma blessure à la cuisse,
et je commençais à perdre la tête. Ma monture s’est jetée en avant, en me sortant
de la meute, mais cette femme continuait à se cramponner, elle ne me lâchait
pas… Alors je lui ai donné un coup de sabre à la gorge, et elle est tombée sous
les jambes du cheval, en répandant du sang par le nez et la bouche.
    Frédéric et Philippo, intrigués, attendirent la suite de
l’histoire. Mais Bourmont avait terminé. Silencieux, il regardait les nuages,
son cigare fumant entre les doigts.
    — Après tout, elle s’appelait peut-être Lola,
ajouta-t-il après un moment.
    Il éclata d’un rire amer.

 
4. L’escarmouche
    Un cavalier solitaire apparut à l’est et remonta la pente du
tertre où se tenait l’état-major du régiment. De la rive du ruisseau, Frédéric
vit se découper la silhouette de l’homme et de son cheval, et il la suivit du
regard jusqu’au sommet.
    — C’est un éclaireur du colonel Letac, hasarda Philippo
qui s’était redressé pour mieux voir. On va sûrement sonner le boute-selle
d’ici peu.
    — Ce n’est pas trop tôt, murmura Frédéric, les yeux
brillants d’espoir.
    — À qui le dites vous, approuva Philippo, qui se rassit
en sifflotant entre ses dents « J’aime l’oignon frit à l’huile »,
l’air d’opéra-comique qui avait été adopté par toutes les fanfares de l’armée.
    Bourmont, qui avait gardé les bras croisés derrière la nuque
et n’avait même pas soulevé les paupières, prit un air excédé.
    — Sacredieu, Philippo, ne me cassez pas les oreilles
avec des chansons de vaudeville. Votre histoire d’oignon est du plus mauvais
goût, et de plus l’air en est hideux.
    L’intéressé regarda son camarade, visiblement vexé.
    — Pardonnez-moi, cher ami, mais cette mélodie que vous
semblez tant détester est l’une des plus allègres que jouent nos fanfares. Et
puis elle fait merveille dans les défilés.
    Bourmont semblait fort réservé sur la question.
    — Elle est d’une vulgarité ! riposta-t-il avec
mépris. Les cinq cents musiciens formés par David Buhl à l’école de Versailles
ont certes appris à jouer de la trompette, mais non à choisir leur musique.
« J’aime l’oignon frit à l’huile »… Pouah ! C’est tout bonnement
grotesque.
    — Eh bien, moi, ça me plaît ! protesta Philippo.
Garderiez-vous quelque penchant pour les anciens airs de la royauté ?
    — Ils ne manquaient pas de charme, répondit froidement
Bourmont en ouvrant les yeux et les rivant sur ceux de Philippo qui, au bout de
quelques instants de tension, préféra détourner le regard.
    Frédéric décida d’intervenir.
    — En ce qui me concerne, j’aime mieux les anciens airs
républicains, risqua-t-il.
    — Moi de même, dit Bourmont. Ceux-là, au moins, ne sont
pas nés dans des décors de théâtre au milieu des chandelles, ils n’ont pas été
chantés par des cantatrices peinturlurées et des acteurs comiques.
    — Mais l’Empereur ne goûte pas les airs républicains,
insista Philippo. Il dit qu’ils sont trop entachés de sang français, et il
préfère que ses soldats marchent au son de musiques joyeuses comme celle-là. Et
cet air qui vous déplaît tant, Bourmont, est justement l’un de ses favoris.
    — Je sais. Mais que Napoléon soit un foudre de guerre
ne signifie pas que son génie s’étende au domaine de la musique. Il est clair
que, de ce côté, il présente quelques lacunes.
    Philippo tordit sa moustache,

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