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Le hussard

Le hussard

Titel: Le hussard Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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Zimmerman.
    « L’Espagne est trop loin », avait-elle dit, et
Frédéric l’avait tout de suite aimée pour ces mots.
    « Est-ce qu’un officier de cavalerie a peur de la
mort ? l’avait interrogé la cousine Magda avec une curiosité morbide.
    — Non, avait répondu Frédéric sans cesser de regarder
Claire. Mais il est certains moments dont le souvenir peut rendre extrêmement
douloureux le fait de mourir avec la certitude qu’on ne les revivra
plus. »
    Cette fois, l’éventail était de nouveau intervenu pour
voiler la rougeur de la jeune fille, mais sans pouvoir dissimuler l’humidité
qui envahissait ses yeux bleus.
    « Aurons-nous la chance de vous revoir parmi nous quand
vous serez de retour d’Espagne ? » avait-elle demandé en retrouvant
sa sérénité.
    La cousine Anne avait approuvé cette idée avec enthousiasme.
    « Il faut nous promettre de revenir nous voir,
lieutenant Glüntz. Nous sommes sûres que vous aurez beaucoup de choses
intéressantes à nous raconter, n’est-il pas vrai ? Dites que vous le
promettez. »
    Les mains de Claire, où de fines veines transparaissaient
sous la peau lisse et blanche, jouaient nerveusement avec l’éventail. Frédéric
s’était incliné légèrement.
    « Je reviendrai vous voir, avait-il promis dans un élan
d’enthousiasme spontané, dussé-je d’abord m’ouvrir un passage à coups de sabre
pour sortir de la porte même de l’enfer. »
    Les deux cousines avaient gloussé, scandalisées par la
ferveur et l’impétuosité du jeune hussard. Mais quand Frédéric, qui n’avait pas
cessé de regarder les yeux bleus, avait vu ceux-ci s’humecter de nouveau, il
avait su que Claire Zimmerman n’entretenait aucun doute sur la raison de sa promesse.
     
    *
     
    L’arrivée de Michel de Bourmont dissipa ces réminiscences.
Frédéric battit des paupières et se retrouva sous le ciel gris, dans le
roulement de la fusillade et le grondement du canon. C’était cela, l’Espagne,
et le jour du retour à Strasbourg était encore bien loin.
    — Tu dormais ? questionna Bourmont en s’asseyant
près de lui sur la pierre plate.
    Son pantalon et ses bottes étaient souillés de boue.
    Frédéric fit signe que non.
    — J’essayais de me souvenir, dit-il avec un geste qui
voulait ôter de l’importance à ces images du passé. Mais c’est difficile,
aujourd’hui, de se concentrer sur autre chose que le présent. Les images vont
et viennent, on a du mal à les retenir. Ce doit être l’excitation logique d’une
bataille.
    — Des souvenirs agréables ?
    — Très agréables.
    Bourmont montra les collines, d’où venait la rumeur du
combat.
    — Plus que ça ?
    Frédéric éclata de rire.
    — Rien n’est meilleur que ça, Michel.
    — Je pense comme toi. Et je t’apporte de bonnes nouvelles,
frère. Si les événements suivent leur cours, nous allons entrer en action très
bientôt.
    — Tu as eu vent de quelque chose ?
    Bourmont caressa les pointes de sa moustache.
    — On dit que le 8 e  léger a enfin pris
le village, à la baïonnette, après avoir été repoussé trois fois. Nous sommes
maintenant dedans et l’ennemi est dehors, mais le 8 e va avoir du fil
à retordre pour maintenir son front. Les Espagnols sont concentrés de l’autre
côté et amènent des pièces d’artillerie. Dembrowsky a dit tout à l’heure que
nous devrons très probablement intervenir d’ici peu pour affaiblir leurs
formations. Il semble que le général Darsand soit pressé d’assainir la
situation sur notre flanc.
    — Nous allons charger ?
    — À ce qu’il paraît ; nous sommes les plus
proches. Dembrowsky expliquait justement que l’escadron est en bonne position
pour faire mouvement.
    Frédéric se redressa pour jeter un coup d’œil sur Noirot et,
à ce moment, son regard rencontra de nouveau la croûte de sang brune qui
tachait sa botte droite. Le sang d’un autre homme. Non sans répugnance, il
tenta de la gratter avec les ongles.
    — Un trophée macabre, commenta Bourmont en observant le
geste de son ami. Mais aussi un trophée du courage ; tu t’es bien comporté
dans l’escarmouche. Quand je t’ai vu piquer des éperons et te lancer au galop,
sabre au clair, aveugle comme un taureau, je me suis dit que c’était la
dernière fois que je te voyais en vie ; mais je me suis senti heureux
d’être ton camarade… Comment cela s’est-il passé ? Nous n’avons pas encore
eu le temps d’en parler.
    Frédéric

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