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Le hussard

Le hussard

Titel: Le hussard Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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toujours par nous revenir. Dans
l’attente, ce sont les préliminaires et les intermèdes qui me dégoûtent. Je ne
les aime pas, Michel.
    — Personne ne les aime.
    Des coups de canon retentirent tout près, de l’autre côté
des collines, et les chevaux inquiets dressèrent les oreilles en encensant.
Certains vétérans se regardaient d’un air entendu et observaient d’un œil
critique les crêtes derrière lesquelles se déroulait le combat. Les lieutenants
Philippo et Gérard s’approchèrent sur leurs montures, les brides lâches.
    — Ça se réchauffe, mes amis ! leur lança
joyeusement Philippo en caressant la crinière de son cheval. Que je sois pendu
si, dans quelques instants, nous n’allons pas foncer sur les Espagnols !
Comment se portent ces sabres ?
    — Bien, merci, répondit Bourmont. Je crois que les mots
exacts sont : assoiffés de sang.
    — C’est ainsi que doivent parler des hussards !
approuva Philippo, que l’imminence de l’action ne semblait pas priver le moins
du monde de son habituelle forfanterie. Et le vôtre, Glüntz ? Assoiffé de
sang, lui aussi ?
    — Plus que le vôtre, rétorqua le jeune homme en
souriant.
    Philippo éclata d’un rire jovial.
    — Ai-je bien entendu ? demanda-t-il en désignant
la croûte de sang qui tachait la botte de Frédéric. Ces Alsaciens sont
incorrigibles ! Quand ils commencent à sabrer, rien ne peut plus les
arrêter… Laissez quelques Espagnols pour vos amis, blanc-bec !
    Une tension particulière s’était répandue parmi les groupes
dispersés qui composaient l’escadron, comme si le pressentiment que l’heure
suprême approchait commençait à pénétrer profondément les hussards. Les conversations
se faisaient brèves et espacées, les hommes devenaient de plus en plus
taciturnes, et tous-les regards convergeaient vers le versant en pente douce
qui, partant du vallon, suivait les collines pour redescendre de l’autre côté,
sur le champ de bataille invisible.
    L’attention de Frédéric fut attirée par un vieux hussard
solitaire qui se tenait à quelques pas de lui. Il était immobile sur un cheval
gris, le coude gauche appuyé sur le pommeau de la selle, légèrement penché en
avant, l’air songeur, le regard perdu dans l’infini. Ce n’était pas seulement
l’aspect du hussard, moustache, queue et nattes poivre et sel, une cicatrice en
travers de la joue, parallèle à la jugulaire, qui indiquait le vétéran. Les
harnais de son cheval étaient râpés mais soigneusement graissés, la peau de
mouton de la selle était pelée après trop d’usage sous les cuisses du cavalier.
Une main sous le menton, il passait et repassait distraitement son index sur
les pointes de son épaisse moustache. L’autre main était posée sur la crosse de
la carabine qui sortait de la fonte accrochée à la selle ; et sur le côté
gauche, au-dessus de la sabretache et du pantalon hongrois serré qui recouvrait
les bottes jusqu’à la cheville, pendait un ancien sabre courbe de cavalerie, du
modèle 1786, presque disparu. La visière du shako rouge – le colback de
fourrure noir était le privilège exclusif des officiers – descendait sur
un grand nez en bec de faucon. Le visage était tanné et d’innombrables rides
entouraient les yeux tranquilles. Chaque oreille portait un anneau d’or.
    Frédéric se demanda quel âge pouvait avoir ce vétéran :
quarante-cinq, cinquante ans ? De toute évidence, ce n’était pas sa
première bataille. Il avait cette immobilité sereine, cette économie de
mouvements superflus, cet isolement réfléchi de l’homme qui savait ce qu’il
allait affronter. Il n’avait rien du hussard qui attend, impatient, de
conquérir une nouvelle parcelle de gloire ; il donnait plutôt l’impression
d’être un professionnel qui se concentrait avant de passer un mauvais quart
d’heure, avec le calme de celui qui avait traversé sans dommages beaucoup de
moments semblables et espérait seulement, fataliste et résigné, conscient de
l’inévitable, que le travail pour lequel il était payé serait exécuté le plus
rapidement et le plus proprement possible, pour se retrouver à la fin sur la
même selle, aussi bien portant qu’il l’était en cet instant.
    Frédéric compara la silhouette silencieuse et immobile aux
démonstrations méridionales et aux bravades de Philippo, voire à la confiance
juvénile de Michel de Bourmont qui, soudain, commençait à lui paraître
injustifiée. Et

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