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Le hussard

Le hussard

Titel: Le hussard Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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mettant des ailes
aux sabots de son cheval et le ramenant vivant du combat qui approchait.
    — Nous allons vaincre ou mourir, frère, lui dit
Bourmont, comme s’il avait deviné ses pensées.
    Puisque son ami le lui affirmait avait une telle conviction,
il était impossible que les choses se passent autrement. Frédéric ouvrit la
bouche pour répondre, mais il sentit qu’un nœud dans la gorge l’empêchait de
prononcer un mot. Le rouge lui monta aux joues tandis qu’il enlevait un gant et
serrait chaleureusement la main de son camarade.
    Là-dessus la trompette sonna, et le 1 er  escadron
du 4 e  hussards se mit en marche vers la gloire.
     
    *
     
    La fine pluie continuait de tomber sur les hommes et les
bêtes, quand l’escadron gravit le versant au pas. À la suite de Berret, de
Dembrowsky et du porte-drapeau, le lieutenant Philippo chevauchait à la tête de
la 1 re  compagnie. Derrière le deuxième rang se tenait Frédéric,
fermant la marche de son peloton, suivi de Bourmont qui précédait le sien. Deux
rangs de hussards plus loin venait le lieutenant Maugny à la tête de la 2 e  compagnie,
au centre de laquelle chevauchaient Laffont et Gérard. La formation, suivant le
règlement au pied de la lettre, était aussi parfaite que si elle avait défilé
sous les yeux mêmes de l’Empereur, au lieu de se diriger vers le combat.
    La centaine de cavaliers ondoya au milieu des collines
mouchetées d’oliviers. À mesure que le grondement de la bataille se faisait
plus proche, les conversations s’éteignaient, et elles finirent par disparaître
tout à fait. Les hussards avançaient maintenant en silence, se balançant sur
leurs montures, le visage grave et le regard perdu sur le dos des hommes qui
les précédaient.
    Sur la terre mouillée, de petites flaques se reformaient,
reflétant le ciel couleur de plomb. Frédéric allait, les deux mains posées sur
le pommeau de sa selle, tenant les rênes du bout des doigts. Son esprit était
éveillé et serein, même si le fracas de la canonnade de plus en plus rapproché
et les décharges de mousqueterie résonnaient dans sa poitrine en se superposant
aux battements de son cœur, comme si la bataille se livrait à l’intérieur de
lui.
    Il ne parvenait pas à s’ôter de la tête une pensée qui
allait et venait sans jamais disparaître complètement. Pendant la conversation
qu’il avait eue quelques moments plus tôt avec Michel de Bourmont, une idée
l’avait assailli soudain, qu’il s’était bien gardé d’exprimer à voix haute. Un
jour, quand il était petit, Frédéric avait pris une poignée de soldats de
plomb, les avait jetés dans la cheminée et avait observé la manière dont le feu
finissait par les réduire à quelques gouttes de métal fondu. Et durant la
conversation sur la responsabilité des chefs qui, avait dit Frédéric,
envoyaient des milliers d’hommes à la mort, peut-être par une simple erreur d’appréciation,
par appétit de gloire ou pour d’autres motifs plus obscurs, une image s’était
imposée au jeune homme comme la plus adéquate pour décrire une bataille :
deux généraux saisissant une poignée de petits soldats de chair et d’os, et les
lançant dans la fournaise pour regarder ensuite le feu les anéantir. Des
compagnies, des bataillons, des régiments entiers pouvaient ainsi connaître le
même sort. Tout était fonction – et c’est ce qui avait horrifié Frédéric
quand il s’en était rendu compte – du caprice de quelques hommes auxquels
un roi ou un empereur avait donné le droit d’agir ainsi, au nom d’une coutume
ancestrale que nul n’osait discuter. Frédéric ne s’était pas aventuré à exposer
cette pensée devant son ami, par crainte de ce que Bourmont pourrait déduire de
tels propos. Celui-ci lui avait même lancé un regard étrange quand Frédéric
avait émis quelques réserves sur le bien-fondé de l’organisation militaire.
Bourmont était quelqu’un de solide, un soldat-né, un brave et un gentilhomme.
Et Frédéric se dit amèrement que les sensations insolites qui le tourmentaient
depuis quelques heures étaient peut-être le signe d’une lâcheté larvée qui
affleurait maintenant, indigne d’un homme portant l’uniforme des hussards.
    Il fit un violent effort, presque physique, pour effacer des
pensées aussi honteuses. Il respira profondément et contempla les oliveraies
cendreuses qui bordaient la route suivie par l’escadron. Il sentit entre ses
cuisses

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