Le hussard
espagnole.
— 1 re compagnie… ! Feu !
Les chevaux ruèrent quand la décharge partit, et la fumée de
celle-ci masqua l’ennemi. Deux hussards blessés se traînaient sur le sol,
esquivant les jambes des animaux et tentant de se mettre à la queue de
l’escadron. Ils ne voulaient pas être piétinés par la charge imminente.
Berret apparut au milieu de la fumée, son œil unique jetant
des étincelles et le sabre levé.
— Officiers, à vos postes… ! 1 er escadron
du 4 e hussards… ! Au pas !
Frédéric éperonna Noirot tout en passant le poignet dans la
boucle formée par le cordon du sabre ; ses mains tremblaient, mais il
savait que ce n’était pas dû à la peur. Il respira profondément plusieurs fois
et serra les dents ; il se sentait flotter dans un rêve étrange.
— 1 er escadron… ! – La voix
de Berret était rauque. – Au trot !
Le bruit des sabots martelant la terre grandit en intensité
à mesure que les chevaux accéléraient leur cadence. Frédéric laissa pendre le
sabre de sa main droite, empoigna de celle-ci un pistolet et maintint fermement
les rênes dans la gauche. L’odeur de la poudre brûlée envahissait ses poumons
en le plongeant dans un état proche de l’ivresse. Il respirait l’excitation par
tous les pores, il avait fait le vide dans son esprit, et ses cinq sens se
concentraient avec une obstination animale sur sa volonté de percer la fumée
pour distinguer l’ennemi qui attendait de l’autre côté, de plus en plus proche.
L’escadron laissa derrière lui les derniers lambeaux de nuée
grise, et le carré espagnol lui apparut de nouveau. Il y avait beaucoup
d’uniformes verts étendus sur le sol autour des rangs extérieurs. Les hommes de
la première ligne, agenouillés, chargeaient à toute vitesse leurs armes en
poussant les balles avec les baguettes. Frédéric eut un instant l’impression
que tous les fusils étaient dirigés sur lui.
— 1 er escadron… ! Au galop !
La deuxième décharge ennemie partit à cent mètres. Les
éclairs jaillirent à une proximité inquiétante et, cette fois, Frédéric put
sentir que le plomb passait tout près, à quelques pouces de son corps crispé
par la tension. Dans son dos, au-dessus du martèlement des sabots de
l’escadron, il put entendre les hennissements d’animaux touchés et les cris de
colère des cavaliers. La formation commençait à se désagréger ; des
hussards prenaient de l’avance à gauche et à droite. Un biscaïen explosa si près
qu’il sentit la chaleur du métal chauffé au rouge qui sifflait dans l’air. Le
cheval de Philippo, un isabelle à la crinière jaune, passa devant lui en
galopant, affolé, sans cavalier. Le commandant était toujours en tête de
l’escadron, pointant son sabre vers l’ennemi dont on pouvait déjà distinguer
les visages.
Le crépitement des sabots martelant la terre, la furieuse
galopade de Noirot, le souffle puissant de l’animal, les poumons de Frédéric
enflammés par l’âcre odeur de la poudre, la sueur qui commençait à couvrir
l’encolure de sa monture, les mâchoires du cavalier serrées, la pluie qui
continuait de tomber, l’eau qui coulait du colback sur la nuque… Il n’y avait
plus désormais de retour possible. Le monde se réduisait à une folle
chevauchée, au désir farouche d’effacer ces odieux uniformes verts de la face
de la terre, ces shakos aux plumes rouges qui formaient un mur vivant, hérissé
de fusils et de baïonnettes. Soixante, cinquante mètres. La rangée d’hommes
agenouillés levait déjà de nouveau ses fusils tandis que la deuxième, celle qui
était debout, mordait les cartouches et les glissait rapidement dans les canons
fumants.
Le trompette joua la terrible sonnerie de la charge, l’ordre
d’attaquer à volonté, et cent gorges crièrent « Vive
l’Empereur ! » dans une clameur sauvage qui courut le long de
l’escadron en couvrant le fracas des sabots frappant la terre. Frédéric
éperonnait Noirot jusqu’à lui ensanglanter les flancs ; mesure inutile,
car le cheval ne répondait plus aux rênes. Il filait comme une flèche, col
tendu, yeux exorbités, mors couvert d’écume, pris du même emportement que son
maître. Il y avait maintenant de nombreuses montures qui galopaient la selle
vide, les rênes au vent, entre les rangs serrés mais de plus en plus
désordonnés de l’escadron. Trente mètres.
Tout l’univers de Frédéric était concentré sur
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