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Le hussard

Le hussard

Titel: Le hussard Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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le
franchissement de cette ultime distance avant que les fusils pointés ne
crachent leur chapelet mortel. Le sabre accroché par son cordon au poignet, la
lame cognant contre la cuisse et le pistolet bien ferme dans la main crispée,
les muscles encore plus tendus, prêt à recevoir en pleine figure la décharge
désormais inévitable. Comme dans un rêve, il vit que le second rang du carré
ennemi levait ses fusils en désordre, que certains Espagnols lâchaient les
baguettes sans finir de charger, que d’autres visaient sans les avoir ôtées du
canon, parallèles aux baïonnettes luisantes. Dix mètres.
    Il vit le visage d’un officier en uniforme vert qui criait
un ordre dont le son se perdit dans le tumulte de la charge. Il déchargea son
pistolet sur lui, le remit dans la fonte et empoigna son sabre en
s’affermissant du mieux qu’il put sur sa selle. À ce moment, la rangée d’hommes
agenouillés fit feu et le monde ne fut plus qu’éclairs et fumée, hurlements, boue
et sang. Sans savoir s’il avait été blessé, il sauta, entraîné par son cheval,
au milieu de la forêt de baïonnettes. Il asséna des coups de sabre sur tout ce
qui se trouvait à sa portée avec une férocité désespérée, criant comme un
possédé, poussé par une haine inconnue, avec l’envie d’exterminer l’Humanité
entière. Une tête fendue jusqu’aux dents, une masse d’hommes roulant dans la
boue sous les jambes des chevaux, un visage brun épouvanté, le sang coulant sur
la lame et la poignée, le craquement de l’acier entrant dans la chair, un
moignon sanguinolent au bout duquel une main tenait encore une baïonnette,
Noirot cabré, un hussard déchargeant des coups de sabre en aveugle, la figure
couverte de sang, d’autres chevaux sans cavaliers hennissant de terreur, des
cris, des fers entrechoqués, des détonations, des éclairs, de la fumée, des
hurlements, des chevaux pataugeant dans leurs tripes, des hommes dont les
entrailles étaient piétinées par les chevaux, sabrer, égorger, mordre, hurler…
    Porté par son élan, l’escadron extermina tout un côté du
carré et poursuivit sa course en la déviant sur sa gauche sous l’effet du choc.
Frédéric se retrouva soudain hors des lignes ennemies, cramponné à sa selle, le
bras endolori tenant le sabre. Le trompette sonnait le ralliement pour une
nouvelle charge, et les hussards durent parcourir une certaine distance avant
de reprendre le contrôle de leurs montures qui galopaient éperdument. Frédéric
laissa pendre son sabre au bout du cordon accroché à son poignet et tira avec
force sur les rênes de Noirot, l’arrêtant presque net, les jambes postérieures
patinant sur le sol détrempé. Ensuite, hors d’haleine, les oreilles sifflantes
et sentant le sang palpiter violemment dans ses tempes, la nuque tenaillée par
une douleur atroce, il éperonna de nouveau son cheval en direction du drapeau
autour duquel tournoyait l’escadron.
    Le bras droit du commandant Berret, blessé par une balle,
pendait inerte. Il était très pâle, mais parvenait à se maintenir en selle, le
sabre dans la main gauche et les rênes entre les dents. Son œil unique brillait
comme un charbon ardent. Dembrowsky, en apparence indemne, aussi froid et
tranquille que s’il avait participé à un exercice et non à une charge,
s’approcha du commandant, le salua d’une inclination de la tête et prit le
commandement.
    — 1 er  escadron du 4 e  hussards… !
Chargez ! Chargez !
    Frédéric eut le temps d’avoir la vision fugace de Michel de
Bourmont, tête nue et dolman déchiré, levant son sabre tandis que l’escadron
s’élançait de nouveau à l’attaque. Les chevaux reprirent de la vitesse, mettant
leurs sabots à l’unisson, et les hussards serrèrent les rangs pendant qu’ils
réduisaient la distance avec le carré ennemi. La pluie tombait maintenant dru
et les jambes des chevaux piétinaient la boue, aspergeant les cavaliers qui
galopaient derrière. Frédéric éperonna Noirot pour reprendre approximativement
sa place, en avant et sur l’aile gauche du premier rang. Il fut surpris de ne
voir aucun officier chevaucher près de lui, puis il se souvint brusquement du cheval
de Philippo galopant sans cavalier après l’explosion du biscaïen, avant le
choc.
    Le carré était entouré de corps d’hommes et de chevaux
jonchant le sol. De ses rangs, désormais moins nourris, partit une décharge qui
s’abattit sur l’escadron. Le cheval du

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