Le hussard
lui. Maugny n’était plus là. Ni
Laffont. Le 1 er escadron avait perdu la moitié de ses
officiers. Une compagnie du 8 e léger qui avait avancé derrière
les hussards se trouvait très près du carré vert et le tenait sous ses feux de
peloton. Les éclairs des décharges brillaient plus fort, car l’après-midi
avançait et l’épaisse couche de nuages s’obscurcissait déjà sur les montagnes
qui fermaient la vallée à l’horizon.
Le trompette sonna de nouveau, les chevaux accordèrent
encore une fois leur galop, Frédéric reprit son sabre d’une main résolue, en
s’affermissant sur sa selle et ses étriers. Fatiguées, les bêtes enfonçaient
leurs sabots dans la boue, glissaient et sautaient les flaques, mais l’escadron
finit quand même par atteindre l’allure de la charge. La distance qui le
séparait de la formation ennemie diminua rapidement et ce furent encore les
balles, la fumée, les cris et le fracas du choc, comme s’il s’agissait d’un
cauchemar voué à se répéter jusqu’à la fin des temps.
Il y avait un drapeau. Un drapeau blanc avec des lettres
brodées d’or. Un drapeau espagnol, défendu par un groupe d’hommes qui se
pressaient autour comme si leur salut éternel dépendait de lui. Un drapeau
espagnol, c’était la gloire. Il fallait seulement arriver jusqu’à lui, tuer ses
défenseurs, le saisir et le brandir avec un cri de victoire. C’était facile.
Par Dieu et par le diable, comme c’était facile ! Frédéric lança un
hurlement sauvage et tira brusquement sur les rênes pour forcer son cheval à se
diriger vers lui. Il n’y avait plus de carré ; rien qu’une poignée
d’hommes qui se défendaient de pied ferme, isolés, pointant leurs baïonnettes
dans un effort désespéré pour maintenir à distance les hussards qui les
sabraient du haut de leurs chevaux. Un Espagnol qui tenait son fusil par le
canon se mit en travers du chemin de Frédéric et l’attaqua à coups de crosse.
Le sabre se leva et s’abattit trois fois, et l’ennemi, ensanglanté jusqu’à la
taille, tomba sous les jambes de Noirot.
Le drapeau était défendu par un vieux sous-officier aux
pattes et à la moustache blanches, entouré de quatre ou cinq officiers et
soldats qui se battaient avec l’énergie du désespoir, luttant dos à dos comme
des loups acculés qui auraient défendu leurs louveteaux contre les hussards qui
poursuivaient le même but que Frédéric. Quand celui-ci arriva sur eux, le
sous-officier, blessé à la tête et aux deux bras, pouvait à peine tenir le
drapeau. Un garçon grand et mince, avec des galons de lieutenant, un sabre à la
main, essayait de parer les coups qui pleuvaient sur le malheureux
porte-drapeau dont les jambes commençaient à fléchir. Lorsque le vieux
sous-officier tomba, le lieutenant lui arracha la hampe des mains, jeta un cri
terrible et tenta de s’ouvrir un passage entre les ennemis qui l’entouraient.
Deux de ses camarades seulement étaient encore debout près de l’emblème.
« Pas de quartier ! » criaient les hussards qui tournoyaient
autour, de plus en plus nombreux. Mais les Espagnols ne demandaient pas
quartier. L’un tomba, la tête fendue, puis un autre, atteint par une balle de
pistolet. Celui qui tenait le drapeau était couvert de sang des pieds à la
tête, les hussards le sabraient sans pitié et il avait déjà reçu une douzaine
de blessures. Frédéric s’ouvrit un passage et enfonça son sabre de plusieurs
pouces dans son dos, tandis qu’un autre hussard lui arrachait la hampe des
mains. En se voyant privé du drapeau, le moribond parut avoir perdu toute envie
de se battre. Sous le sabre, il fléchit, tomba à genoux, et un hussard l’acheva
d’un coup à la gorge.
Le carré était défait. L’infanterie accourait, baïonnette au
canon, aux cris de « Vive l’Empereur ! » et les Espagnols
survivants jetaient leurs armes pour détaler plus vite, cherchant le salut dans
la fuite vers le bois voisin.
Le trompette sonna la poursuite : pas de quartier.
Apparemment, Dembrowsky avait été exaspéré par la résistance tenace et voulait
faire un exemple. Rendus euphoriques par la victoire, les hussards se lancèrent
sur les talons des fugitifs qui pataugeaient dans la boue en tentant de sauver
leur vie. Frédéric galopa parmi les premiers, les yeux injectés de sang,
agitant son sabre, prêt à tout faire pour qu’aucun Espagnol ne parvienne vivant
à la lisière du bois.
C’était un jeu
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