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Le jardin d'Adélie

Le jardin d'Adélie

Titel: Le jardin d'Adélie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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promets d’intercéder en ta faveur.
    Il acquiesça de nouveau et se passa une langue épaisse sur les lèvres. La femme demanda :
    — Savais-tu que l’homme que tu as… enfin, savais-tu que c’était mon ancien amant ?
    Clémence fut scandalisée par l’incongruité de cette question en un moment pareil. Elle protesta :
    — Quoi ? Mais qu’est-ce que…
    — Non, dit Louis faiblement.
    — Il faut le croire, il dit la vérité, implora Clémence.
    — Je le crois, dit Desdémone, visiblement soulagée d’un grand poids.
    Cela devait être important pour elle. Elle tapota la joue de Louis :
    — Je t’ai donné son manteau. Y a-t-il autre chose que tu désires ?
    — J’ai soif, dit-il.
    Elle lui ramena de l’eau qu’elle lui fit discrètement boire à la louche en lui soufflant, à l’oreille :
    — Pas un mot à quiconque, d’accord ?
    — D’accord. Mais… tu veux bien les rappeler, s’il te plaît ?
    — Qui, ça ?
    Le regard de Louis devint un instant plus précis. Il vit à qui il parlait. Il ne répondit pas et prêta l’oreille. Il ne les entendait plus.
    Desdémone lui glissa une galette rassise dans la main. Les deux femmes s’en allèrent.
    Sa soif étanchée, Louis se rendit compte qu’il n’avait plus faim. D’instinct, il chercha un endroit où cacher sa galette et introduisit le bras dans la manche du manteau. Cela lui donna une idée. Alors seulement il comprit pourquoi les voix aimées étaient parties. Mère et Églantine ne voulaient pas qu’il meure. Pas tout de suite. S’il tenait bon encore juste un peu, il serait sauvé. Il porta la galette à ses lèvres gercées.
    *
    Les longues marches entre chaque agglomération étaient épuisantes pour les prisonniers malgré la lenteur des processions.
    Il n’était pas rare qu’un arrêt soit ordonné afin de stimuler un retardataire, parfois sous les yeux mêmes des quelques inutiles de fin de cortège qu’il leur arrivait de ramasser en ville et de traîner pendant deux ou trois lieues.
    C’était là sa chance. En dépit de sa faiblesse extrême, il était parvenu à concentrer toute son attention et il avait élaboré une stratégie suffisamment cohérente. Il avait également deviné que Magister n’allait sûrement pas manquer de passer près d’un gibet qu’ils avaient entrevu l’avant-veille à deux lieues d’une bourgade, afin d’accroître l’impact dramatique de ses dévotions. La suite lui donna raison.
    L’adolescent ralentissait et feignait de trébucher. Vu son état, on ne soupçonna rien. Les geôliers le laissaient de nouveau tranquille. Alors qu’ils marchaient devant les fourches patibulaires auxquelles étaient pendus plusieurs cadavres, Clémence vit son frère se pencher pour recueillir quelque chose qu’il se hâta d’enfouir sous son manteau. Elle jeta un coup d’œil furtif en arrière : Desdémone était tout près. Elle avait la tête tournée vers le gibet. Peut-être avait-elle décidé de ne rien remarquer. Difficile à dire avec elle. Clémence regarda de nouveau Louis. Il se contenta de lui faire un signe d’assentiment.
    Il lui était étrange de constater à quel point la présence de Clémence se mettait à compter pour lui. Dans l’isolement complet où il était du reste du monde, ce nouveau lien tissé entre eux devenait solide, indestructible. Mais, au fait, s’agissait-il vraiment d’un lien nouveau ? De tous les membres de sa belle-famille, c’était Clémence dont il s’était senti le plus proche dès le moment où son père s’était remarié. Non seulement étaient-ils presque du même âge, ils aimaient se retrouver ensemble aux travaux de la boulangerie qu’ils accomplissaient dans la plus parfaite harmonie. Déjà, il la considérait comme une sœur, qui lui rappelait quelquefois la douceur timide de sa mère et atténuait les violences de sa révolte, les manifestations du monstre en lui. Il sentait de façon ténue que l’adolescente lui rendait ses sentiments fraternels. Pourtant, lorsqu’il songeait à elle, une ombre passait sur ses pensées. Les temps anciens n’étaient plus. Les conditions misérables dans lesquelles ils s’étaient retrouvés ne nourrissaient que la cruauté, sinon la haine. Et, dans les brumes de sa faiblesse, Louis se prenait à regretter les fois où, sous l’emprise de la faim impitoyable, il avait récemment utilisé la force pour ajouter aux souffrances de la jeune fille. Il se reprochait aussi de

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