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Le jardin d'Adélie

Le jardin d'Adélie

Titel: Le jardin d'Adélie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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famélique pouvait trouver la force de se battre pour sauver sa maigre pitance. Les gardiens s’en amusaient beaucoup et faisaient exprès de lancer les rations au hasard dans cette meute humaine. Louis se mit à voler sans remords les rations des autres. Nul n’osa l’affronter. Certains même le laissaient tristement faire ou lui remettaient leur ration dès qu’il se plantait devant eux. Mais les gardiens le dénonçaient. Magister le battait et l’astreignait au jeûne, souvent pendant plusieurs jours d’affilée. Mais, dès qu’il réintégrait le groupe, Louis recommençait. À quelques reprises, il vola même les rations de sa sœur. Les restrictions de la conscience ne résistent pas aux crampes de la famine. Cette fureur de vivre à tout prix protégea peut-être Louis de la dépression et de l’anxiété auxquelles son époque était si propice.
    Certains des chefs qui se hasardaient à lui adresser la parole trouvaient qu’il ne réagissait pas assez vite à leur gré. Ce fut ainsi qu’il se retrouva un jour étendu face contre terre, le pied de Magister posé contre sa nuque.
    — Firmin, ne m’as-tu pas un jour confié que ton fils était plutôt lent d’esprit ?
    — Ah ça, oui, mon père. Il n’est pas futé pour un sou.
    — Bien. Je me demandais, aussi.
    Puis, à Louis :
    — Supplie le Très-Haut, mon fils, et tu obtiendras miséricorde pour toi-même et pour tous ceux qui souffrent. Obéis-moi ou ce soir tu seras près de Lui, je t’en fais serment. Les gens de bien éprouvent de la pitié pour les simples d’esprit comme toi. Allez, rends-toi à la ville quêter notre subsistance. Il en va de ta misérable dépouille.
    Magister s’éloigna. Louis se redressa devant son père, le visage barbouillé de boue.
    — Tu n’es plus si faraud, maintenant, pas vrai ? lui dit le gros homme.
    Deux heures plus tard, Louis était de retour de la petite bourgade où l’avait escorté Desdémone. Il portait une pleine poche de nourriture qu’il dut remettre en entier aux dirigeants. Il fut longuement et inutilement fouillé par sa marraine, qui lui dit :
    — Je te trouve moins séduisant depuis quelque temps.
    Le fait était qu’il avait l’air d’un crevard. Il avait beaucoup maigri, et des cercles noirs s’étaient dessinés autour de ses yeux. Il était exténué et tenait à peine sur ses jambes. Et il ne lui résistait plus. Mais au moins il avait cessé d’être pour ses pairs cette espèce d’homme-putain envers qui les rares faveurs de la femme avaient suscité trop de dangereuses jalousies.
    Il dit à Desdémone, d’une voix sans timbre :
    — J’ai très faim.
    Mais Magister avait entendu. En mordant avec appétit dans un beau fromage à croûte dorée, il s’interposa :
    — Et puis quoi encore ? Hors de ma vue, misérable impie. Va te reposer. Profites-en, car demain la route sera longue.
    S’il avait espéré des supplications, Magister fut déçu. Louis ne réitéra pas sa demande et s’en alla.
    Ce fut cette nuit-là que mourut le premier prisonnier. Seul Louis s’en aperçut, car les chefs s’étaient généreusement abreuvés des vins corrosifs qu’il leur avait ramenés. Ils étaient soit trop saouls, soit trop somnolents pour remarquer quoi que ce fût. Quant à ses compagnons d’infortune, épuisés comme ils l’étaient, ils dormaient tous à poings fermés. Ce fut donc un peu par hasard que Louis se serra contre un corps raide qui ne le réchauffa pas. Il s’assit et regarda le visage que l’obscurité ne lui permit pas de distinguer. Il ne sut même pas s’il s’agissait d’un homme ou d’une femme. Il tâta son pouls et regarda alentour. Seules quelques braises subsistaient devant la tente de Magister. Personne n’allait venir.
    *
    Firmin sortit de la tente et chancela jusqu’à la bordure du bois où il s’isola pour uriner. La nuit était belle et tiède. Il se soulagea en soupirant d’aise. Une odeur alléchante de viande grillée attira son attention, et, dans les brumes de l’alcool, il se demanda avec amusement comment il pouvait encore avoir faim. « Comme c’est étrange. Il me semble qu’il n’y avait pas de feu à cet endroit tout à l’heure », se dit-il distraitement. Effectivement, un feu poussif avait été allumé en retrait du camp. L’odeur venait de là. « On dirait du porc », pensa-t-il en avançant. Il faillit mettre le pied sur un quartier dé viande crue.
    — Holà, appela-t-il tout bas, et

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