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Le jardin d'Adélie

Le jardin d'Adélie

Titel: Le jardin d'Adélie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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qui portait la volaille à sa bouche sans songer à lui en offrir une seule bouchée. Elle chercha à attirer un peu l’attention sur elle sans toutefois se compromettre et risquer de recevoir des coups :
    — Moi, je l’ai trouvé changé, le Louis. On dirait presque déjà un homme.
    — Merde ! Je pense bien, avec la taille qu’il a, répondit Firmin en ricanant. Et buté comme un âne, avec ça. N’empêche que j’en suis plutôt fier. Vous avez vu comme il a tout encaissé sans demander grâce ?
    — Vrai, dit Godefroy. Pourtant, Magister l’a quasiment crevé. Si je n’avais pas eu mon alêne et du crin, c’est la pelle qui lui aurait servi. On aurait été obligés de creuser un sacré grand trou pour le foutre dedans.
    — Faut croire que je l’ai bien dressé, dit Firmin.
    Il lança l’os de volaille dans le feu et donna une claque sur le sein dénudé de l’adolescente, avant de le lui pétrir durement. Elle gémit. Il tourna la tête pour cracher avec impatience un morceau de cartilage et gratta ses fanons hérissés de poils grisâtres. Il pensait à son frère. Et à ce pot de terre cuite qu’il conservait dans la tente. Enfin, ses yeux porcins se portèrent au-delà du feu, là où devait être étendu à même la terre son fils agité par les frissons de la fièvre.
    — Une tiare, dit-il en soupirant.
    Il entreprit de se curer les dents avec l’ongle de son pouce.
    — Peut-être bien qu’il aurait fait un bon boulanger. Hélas, je n’ai plus rien à lui donner.
    *
    Magister exorcisa Louis dans trois paroisses différentes au cours des semaines suivantes. Comme le scorpion était devenu trop dangereux pour la vie de l’adolescent très affaibli, il eut recours aux verges et aux tisons. Les membres de Louis se couvrirent de brûlures que Desdémone soignait le soir venu. À la demande de la femme, on évita de le défigurer. Cependant il se voyait de moins en moins capable de la satisfaire en échange de ces trop rares faveurs. Furieuse, Desdémone lui serrait les testicules et l’écoutait gémir en se terrant contre lui. Elle ne les relâchait que pour les endolorir davantage par de grandes tapes assenées du plat de la main. Elle lui triturait et lui pinçait le sexe et, bientôt, elle se mit à se moquer de lui en essayant de le nouer ou de le frapper avec une baguette.
    Louis ne connaissait aucun répit. Il était constamment torturé et humilié. Son état d’épuisement et la surveillance dont il était l’objet rendaient impossible toute nouvelle tentative d’évasion. Étrangement, tandis que les tortures devenaient de plus en plus vicieuses, sa captivité avait graduellement cessé de l’affecter autant. On eût dit que, ne pouvant trouver refuge ailleurs qu’en lui-même, il avait fini par reprendre d’anciennes habitudes qu’il avait crues depuis longtemps jetées aux oubliettes. Le preux Saint Louis s’était peu à peu apaisé et, avec lui, toute velléité de défi. Le courage, la noblesse de sentiments, c’étaient là de bien belles valeurs, mais elles ne pouvaient être pratiquées que par ceux qui avaient le droit de vivre. Lui devait se contenter de survivre. La défiance constante qui l’avait si bien servi lorsqu’il s’était agi de se faire une place dans le monde ne pouvait pas opérer ici, car le monde qu’il avait commencé à connaître et à apprécier n’existait plus. Les tourments qu’il subissait n’étaient plus des batailles à mener une à une pour gagner la guerre. Non, s’il voulait survivre, il fallait qu’on oublie jusqu’à son existence. Il faisait donc en sorte de ne plus causer aucun remous. Même lorsqu’ils allaient en procession et qu’il suivait, entravé, ce n’était pas lui qui marchait, c’était son corps. Lui n’était plus là. Il n’était plus rien. Et force lui fut d’admettre que dès lors tout devint plus supportable, cependant que les coups se faisaient moins nombreux. Il ne s’accordait de rares réveils de conscience que pour tisonner la haine qu’il vouait à Firmin. La seule chose dont il était incapable de faire abstraction, c’était la faim. À l’heure des rations, il devenait une bête. C’était chacun pour soi. Celui qui voulait vivre devait satisfaire ses propres besoins personnels sans considération pour le groupe. Le groupe n’était rien. Si quelqu’un tentait de voler sa part, il s’en repentait amèrement. Il était déconcertant de voir comment un être aussi

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