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Le jardin d'Adélie

Le jardin d'Adélie

Titel: Le jardin d'Adélie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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Louis ?
    — Non.
    — Il est écrit : «  Itel com tu es itel fui {61} . »
    Ces mots ne produisirent pas les sentiments de contrition escomptés par Magister. Pris d’une poussée de joie comme il n’en avait pas eue depuis longtemps, Louis éclata de rire : « Voyons un peu l’effet qu’aura cette sage parole sur toi, Frappart », se dit-il. Dressé, il se pointa le nez avec le pouce et tira la langue au transi. Magister le sentit se dérober sous sa main. L’adolescent amaigri, couvert de guenilles grisâtres et effilochées, entreprit une danse désordonnée autour de la pierre tombale. Tout le monde le regarda avec un étonnement presque révérencieux, y compris Magister. Un Louis livide, ressemblant à un spectre vêtu de haillons, n’en continuait pas moins à défier la mort avec une comptine ridicule et en riant aux éclats. Et il n’avait même pas bu. C’était admirable.
    S’il n’avait pas été ivre, Magister l’eût sans doute contraint à cesser ses simagrées. Mais le vin avait exacerbé sa sensibilité ; il était devenu influençable et plus vulnérable. Le faux prêtre se mit à danser avec son mouton noir. Il fut bientôt imité par les autres membres de la congrégation. La folie se répandit parmi les membres bien portants du groupe comme une traînée de poudre. Tous, ils s’abandonnèrent à cette espèce de transe débridée, inexplicable, à cette danse macabre. Seuls certains des prisonniers n’y participèrent pas, trop exténués qu’ils étaient par la faim et les mauvais traitements.
    Après plusieurs minutes, Louis aussi dut s’arrêter, car il n’en pouvait plus. Il s’assit au pied de la pierre tombale et se frotta la jambe avec inquiétude : elle commençait à enfler. Cela risquait de tout compromettre. À moins qu’il n’utilisât ce phénomène également. Peu importait : il y avait si peu à perdre.
    — Mon beau petit démon, dit Desdémone qui vint le rejoindre en titubant, un cruchon à la main.
    La situation de l’adolescent devenait précaire ; mais il était désormais trop tard pour reculer. Desdémone se pencha vers lui. Elle le contraignit à se lever.
    — Viens là, viens danser avec ta belle. Mais Dieu que tu empunaises*, ce soir. Qu’as-tu donc fait ? Serais-tu malade ?
    — Mais nooooon, dit-il en se frottant contre elle d’une façon obscène.
    Elle rit et se mit à lui pétrir les testicules.
    — Jeune bouc. Même à demi mort, tu continues à archonner*.
    Tout en continuant à danser, Louis répondait aux caresses de Desdémone en lui donnant de furieux coups de hanches. Seule l’énergie du désespoir lui en donnait la force. Il fallut à la prostituée un certain temps avant de réaliser qu’il ne l’étreignait que d’un bras.
    — Serais-tu blessé, mon chéri ?
    — Non, pourquoi ?
    — Ton bras.
    — Oh, ça. Ce n’est rien. Je n’ai pas mal du tout. Seulement, je n’arrive plus à le bouger.
    — Quoi ? Fais-moi voir ça.
    Sans prévenir, elle retroussa sa manche et découvrit un membre flasque, livide, couvert de taches gangreneuses. L’haleine coupée, elle émit un petit cri horrifié et s’éloigna d’un bond. Un seul mot parvint à lui échapper :
    — Lépreux {62} .
    Sous le choc, elle ne comprit pas ce qu’elle vit par la suite, ni ce qui lui advint : Louis s’approcha, tout sourire, en brandissant son bras malade. La seconde suivante, Desdémone gisait à ses pieds, assommée. Déjà, le bras sain de son amant était réapparu comme par magie à la manche de son manteau.
    — Que veux-tu, j’ai pris goût à me servir de ça, dit-il. Par chance, je n’ai pas faim !
    En transe, les danseurs ne s’étaient rendu compte de rien.
    — Un bras de pendu. Il a ramassé le bras d’un pendu au gibet, murmura Clémence aux autres prisonniers qui regardaient, subjugués.
    Survint alors quelque chose d’inattendu. Louis n’avait l’intention que d’utiliser son subterfuge pour éloigner les ivrognes et régler son compte à Firmin avant de disparaître dans la nature ; or, il n’eut même pas à se préoccuper des autres. Alors qu’il s’affairait à rattacher le bras mort à la manche du manteau, les prisonniers derrière lui se regroupaient. Galvanisés par le courage que Louis avait démontré, ils avaient soudain retrouvé leur combativité. Ils voulaient vivre. Ils se répandirent en silence à travers le camp. Louis les vit s’élancer tout autour de lui et cligna des

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