Le jardin d'Adélie
le sujet avec lui tout en n’ayant l’air de rien ? » se demandait le petit homme rougeaud. Remettre en question les motivations de quelqu’un, c’était violer l’un des tabous sacrés de la politesse, à ses yeux, et le moine, dans ce cas précis, jugeait la politesse primordiale, puisqu’elle avait pour rôle de minimiser l’éveil de l’agressivité. Le tempérament fougueux du jeune homme n’avait certes pas à être provoqué. Il regarda Louis, dont le maintien racé et altier semblait ignorer tout malaise. Prétexter ses récentes blessures pour restreindre chez lui la pratique d’un sport exigeant allait donc être inutile, sinon quelque peu malhonnête.
— Il me faut admettre en toute franchise que, le jour de ton arrivée ici, je ne croyais pas que tu en réchapperais. Ta guérison tient du miracle. Le Seigneur a intercédé pour toi. Tu sais cela, n’est-ce pas ?
— Oui.
— Éprouves-tu de la reconnaissance d’être en vie et de te trouver sur la voie de la guérison ?
Louis ne répondit pas tout de suite. Antoine regarda le frère Lambert qui s’était accroupi dans le potager, entre deux rangs de jeunes plants qu’il entretenait avec grand soin. Un soleil printanier réchauffait agréablement le dos couvert de bure noire, alors qu’une brise douce folâtrait dans les cheveux du jardinier. L’abbé cessa de marcher et fit face à Louis.
— J’ai beaucoup prié pour toi.
— Merci. Je vous en suis reconnaissant.
— Que tu sois en mesure de pratiquer toute cette activité physique, c’est là une grâce bien spéciale.
— C’est vrai.
— Dis-moi, que comptes-tu faire lorsque tu seras complètement rétabli ? As-tu des projets ?
L’adolescent cligna des yeux et regarda ailleurs.
— Non, je n’en ai pas.
— Louis, te plais-tu parmi nous ?
— Oui.
Si Antoine fut persuadé que son interlocuteur avait menti à sa première question, il fut également persuadé qu’il avait dit la vérité à la seconde. Et il avait deux fois raison. Louis se plaisait à l’abbaye. C’était propre et apaisant. Personne ne lui cherchait noise. Il aimait apprendre le jardinage avec Lambert. La compagnie de ce plaisantin était stimulante, même si Louis ne se montrait jamais amusé de ses facéties. Personne ne s’en doutait, mais c’était là ce qu’il préférait, hormis les moments passés à la cuisine. Le maniement des armes ne l’intéressait que pour une raison bien précise que lui-même ne pouvait pas évoquer clairement et qui constituait précisément l’essentiel de ses projets. Mais oui, Louis aimait vivre à l’abbaye. Il aimait même la chambrette qu’il occupait dans l’aile de l’hôpital. Pour la première fois, il découvrait ce que pouvait être réellement la vie, il se plaisait à laisser les jours filer dans le calme, sans avoir rien à appréhender. Il travaillait et se reposait dans une atmosphère qui favorisait le développement de talents et d’habiletés que son vécu avait jusque-là occultés. Ce mode de vie était très attrayant, même s’il se savait incapable d’en retirer tous les bienfaits.
La voix d’Antoine l’arracha à ses réflexions :
— Permets-moi de te demander quelque chose, mon fils. Mais, d’abord, je tiens à ce que tu saches que tu n’es contraint en rien. Tu es tout à fait libre des choix que tu feras et personne ici ne te jugera pour ça.
Il fit un signe d’assentiment.
— Louis, entends-tu l’appel de Dieu ?
— L’appel ?
Il regarda en direction de l’église. Antoine reposa sa question autrement, se souvenant que Louis était de ceux qu’il fallait aborder d’une façon directe, sans figures de style :
— Désirerais-tu être des nôtres et te faire moine ? L’adolescent écarquilla les yeux et ne sut que dire. Antoine lui tapota le bras et se hâta d’ajouter :
— Je ne te demande pas une réponse immédiate, mon fils. Prends tout le temps qu’il te faut pour y réfléchir. Rien ne presse.
— D’accord, dit-il en reculant hors de portée.
— Le Seigneur saura te guider si tu Lui demandes de t’éclairer sur ce qu’il convient de faire.
— Non, je veux dire… d’accord. C’est d’accord. Je veux me faire moine.
Ce fut au tour d’Antoine d’être surpris.
— Tu en es sûr ?
— Oui.
— N’est-ce pas là une décision un peu rapide ?
— Non. J’aime le monastère.
— Ce n’est pas tant le monastère qu’il faut aimer, mon
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