Le jardin d'Adélie
plus flexible. Retournons.
Ils revinrent quelques minutes plus tard avec d’autres objets, parmi lesquels des bocaux remplis de matières gluantes. La petite mouche s’envola pour continuer ailleurs ses méditations sur l’été.
— L’avant aussi est en aubier, poursuivit Pierre. Mais pour la partie centrale on emploie le bois dense du cœur de l’if. Seigneur, on ne pourra pas tout faire aujourd’hui. Je compte sur toi pour ranger tout à l’heure… À moins que tu ne m’accompagnes aux vêpres ?
— D’accord.
— Le dos d’un arc composite est renforcé par une couche de matériau résistant à la tension. Le mieux, c’est un tendon. Mais attention, il ne faut pas prendre un petit bout de n’importe quoi, sinon, tôt ou tard, l’engin finira par te péter en pleine figure. C’est un tendon comme celui-ci qu’il faut. Il n’y a rien de tel. C’est ce grand ligament qu’on prend là, chez les mammifères.
Il désigna sa nuque, faisant référence à la colonne cervicale.
— Sur la face concave, il te faut une matière qui se comprime mieux que le bois. Essaie d’étirer une bonne branche : rien à faire, ça ne cède pas. Mais pèse dessus, comprime-la juste un peu et tu vas l’entendre claquer en un rien de temps. D’où la présence de la corne sur notre établi. Tu ne dors pas encore ?
— Non.
— Je devrais te lire un des livres du frère Lionel. Le choix des colles, ça, c’est malaisé. Veille à n’utiliser que de la colle de sabot d’excellente qualité. Au moindre doute, fais-la boire au marchand. Je plaisante. Bon. Une fois tout cela assemblé, on n’a pas encore fini. Il y a la corde, comme de raison, mais il faut aussi tailler et chauffer les extrémités pour les incurver légèrement dans le sens contraire des fibres. Ensuite, on badigeonne l’arc avec un mélange de suie et d’huile de lin que l’on devra mettre à bouillir. Cet enduit empêchera le bois de sécher. C’est aussi ce qui va donner sa couleur à ton arc. Habituellement, cela donne un beau doré.
— J’en ai déjà vu un noir.
— Si c’est ce que tu veux, on le fera comme ça. C’est très facile, on ajoute davantage de suie au mélange d’huile, et le tour est joué. Bien. Après, on ajuste aux extrémités deux pièces de corne où fixer la corde tressée avec du bon chanvre et trempée dans la colle… C’est presque l’heure des vêpres.
Pierre leva les yeux afin d’évaluer la course du soleil.
— Au fait, j’y songe : savais-tu que le frère Lionel a une horloge {67} dans la bibliothèque ?
— Une quoi ?
— On y reviendra. Je veux te dire ce qu’il nous reste à faire. Ainsi nous serons prêts demain : nous pourrons recouvrir ton arc de cuir, de parchemin ou d’écorce de bouleau en bandes placées obliquement. Ces finitions servent à deux choses : d’une part elles protègent l’arc, la corne et les tendons. D’autre part, elles y maintiennent un certain taux d’humidité pour éviter qu’il ne devienne trop sec.
La cloche de l’église abbatiale commença à sonner.
— Nous y voilà. Oh, j’oubliais. Même le meilleur arc a besoin d’un minimum d’entretien : il faut le frotter à la cire d’abeille tous les quinze jours. C’est, grosso modo, le savoir théorique dont nous avons besoin. Mais le plus difficile reste à venir : l’entraînement. Tu viens à l’office ?
— Et les flèches ?
— Je te montrerai. Mais il nous faudra d’abord ramasser des rameaux de frêne bien droits. Penses-tu pouvoir dérober quelques plumes d’oie à notre bon frère Lionel ?
Il éclata de rire et donna une petite tape amicale sur l’épaule de son élève. Louis ne rit pas. Peut-être n’avait-il pas compris. Ils prirent la direction de la chapelle.
*
Le bibliothécaire muet étonna le frère Pierre en se révélant un élève très doué. Il promettait de devenir un archer hors pair. Mais quoi, le Poverello d’Assise n’avait-il pas été chevalier avant que d’aller servir son vrai Seigneur ? Le moine athlétique ne trouvait donc rien d’anormal au fait de voir le doux frère Lionel délaisser un moment sa plume et ses grimoires pour venir s’exercer avec eux dans le petit Pré-aux-Clercs. « De prendre un peu l’air ne peut que lui faire du bien », disait-il. Pierre éprouvait beaucoup de fierté pour la progression de ses deux élèves. Ce qu’il ignorait, cependant, c’était que Lionel n’aimait pas tirer à
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