Le jardin d'Adélie
n’arrivaient pas à capter son attention. Louis préférait de loin le longbow* du frère Pierre aux plumes d’oie bien taillées. L’apprentissage de la lecture et de l’écriture ne l’intéressait pas. Dépité, Lionel l’envoya donc faire du ménage dans la bibliothèque.
— Je suis allé sur la Grande île* dans mes jeunes années, dit le frère Pierre à Louis, tandis qu’ils installaient tous les deux une sorte d’établi sur une pelouse ensoleillée.
La veille, l’adolescent avait aperçu le longbow dans une remise. Après qu’il eut mené sa petite enquête à son sujet, Pierre avait été consulté par le jeune convalescent. Il avait été enchanté de l’intérêt que Louis portait à cet objet dont il ne pouvait s’empêcher d’être fier.
— C’est là que j’ai appris le maniement du grand arc gallois et comment on le fabrique, dit-il. Tu vois, celui-ci appartient à l’abbaye. C’est moi qui l’ai fait et je l’ai donné. Mais je sais aussi comment fabriquer des arcs plus petits. Pour la chasse.
Le moine fit une pause, le temps de jeter à Louis un regard significatif. Comme plusieurs de ses confrères, Pierre n’était pas sûr d’aimer ce qu’il voyait naître dans le regard de Louis. On eût dit qu’il reprenait des forces au détriment d’autre chose, de quelque chose d’essentiel qui allait en s’étiolant.
Un jour, le couvercle d’un coffre s’était accidentellement refermé sur les doigts de Louis. Pierre s’était précipité pour l’ouvrir, mais Louis n’avait pas bougé. Il l’avait regardé, l’air étonné, comme s’il ne s’était aperçu de rien, comme si, par quelque sortilège, l’adolescent avait pu apprendre à éteindre la douleur, et l’image même de ce qui l’avait causée.
Louis ne riait ni ne pleurait jamais. On ne pouvait savoir avec certitude s’il aimait faire quelque chose ou non. Il ne disait rien. Aussi quand il voulut apprendre le tir à l’arc, le frère Pierre accepta d’emblée. Après tout, vouloir était ce qui se rapprochait le plus d’aimer, dans son cas. Pourtant, il demanda, en soupirant :
— Es-tu certain de vouloir apprendre ceci ?
— Oui.
— La vocation des archers de France n’est pas des plus enviables.
— Qui vous a dit que je désirais être archer ? Vous l’avez dit vous-même, c’est pour la chasse.
— Je crains que cela ne te soit plus nuisible qu’utile. Le braconnage est interdit.
— Je saurai être prudent
— Très bien. Je n’ai aucune envie de te refuser ce que tu demandes, va savoir pourquoi. Peut-être parce que tu es opiniâtre. J’admire cela, moi, l’opiniâtreté. Peut-être ai-je tort. Mais se battre comme je t’ai vu le faire pour survivre, bon, ce n’est pas donné à tout le monde. Il faut être aimé de Dieu.
Gêné, Louis se racla la gorge. Le frère Pierre se reprit :
— Qu’est-ce qui me prend de te faire un sermon ? Je n’en fais jamais. Le soleil doit taper trop fort. Viens un peu par là.
Pierre se frotta l’arrière de la tête. Ses cheveux couleur de fer étaient si ras tout autour de sa tonsure qu’ils n’en furent aucunement dérangés. Il dit :
— Eh oui, nous aurons besoin de tout ça pour fabriquer un bon arc à main. Tout ce bazar que tu vois là. C’est devenu un art presque aussi complexe que celui de fabriquer un instrument de musique. Tu comprends, on ne les fait plus comme il y a deux ou trois cents ans, avec de l’if, de l’ormeau ou de l’érable massif. Les techniques ont beaucoup évolué. L’arc est devenu une arme puissante dont, à mon avis, le longbow est la forme la plus achevée. Tiens, prends ceci. C’est de l’if, le bois des druides. Ne va pas répéter ça, surtout, je risque de passer pour un païen. Comme je le disais, les ancêtres ont très bien su utiliser l’aubier pour fabriquer leurs arcs. Sais-tu pourquoi ?
Louis fit un signe de dénégation et, les bras chargés de matériaux hétéroclites, il suivit Pierre dehors jusqu’à l’établi temporaire où s’était posée l’une de ces jolies petites mouches en livrée métallisée, véritable bijou ailé. Ils posèrent leurs affaires et Pierre reprit :
— L’aubier étant la partie jeune de l’arbre, il possède la propriété d’être plus souple et extensible que les couches plus profondes. Pour nos arcs composites, on en taille une couche épaisse qui va être posée sur la face externe de l’arc, celle qui doit être la
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