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Le jardin d'Adélie

Le jardin d'Adélie

Titel: Le jardin d'Adélie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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aimables ? Il ne savait plus. Il n’arrivait plus à comprendre l’émoi que les mots de Garin suscitaient en lui. C’était un peu comme si on manifestait de la gentillesse à son égard pour la première fois et qu’il n’ait jamais su auparavant que cela pouvait exister.
    Enfin il releva la tête et dit :
    — Écoutez, je crois qu’il vaut mieux ne pas trop vous attacher à moi.
    — Ah. Tu vas t’en aller, n’est-ce pas ?
    — Oui.
    — Parce que tu ne te sens pas bien ici.
    — Je ne me sens bien nulle part. Ne vous attachez pas, c’est tout.
    — Mais pourquoi donc ?
    — Parce qu’alors moi aussi je vais m’attacher à vous, et ce serait mal.
    — Qu’y a-t-il de mal à ça ? Oh, je crois que je comprends. Tu crains les rumeurs ? Ou bien cela te détournerait de ton but ?
    — Rien à voir. C’est juste parce que, chaque fois qu’il m’arrive quelque chose de bien dans la vie, ça ne dure jamais. Non, laissez-moi finir. Vous ne comprenez pas. J’ai perdu tous ceux que j’aimais. Tous. Pensez-y bien avant de vous attacher à moi. Je porte malheur.
    Garin respecta son silence, même s’il se prolongea pendant plusieurs minutes. Il finit tout de même par dire :
    — Tu sais, à mon âge, ce genre de superstitions, ça n’a plus guère de sens. Quel genre de malheur pourrait-il m’arriver, à ton avis ? Que je me retrouve tout à coup sourd et aveugle ? Que je me casse une jambe ? Même si l’une de ces choses finissait par m’arriver, je n’aurais pas à la supporter longtemps. Je me fais vieux, Louis, je n’aurais qu’à me laisser aller et c’est tout, on n’en parle plus. Tu vois bien. Il m’en coûte si peu de prendre le risque.
    — Et à moi ?
    — Si tu te poses cette question, c’est que mon affection pour toi est déjà réciproque.
    — Vieux goupil.
    Garin éclata de rire et demanda :
    — C’est ta petite amie que tu as perdue ?
    — Entre autres.
    — Quand j’étais au monastère, ce que j’ai trouvé le plus difficile dans ma vocation, ce n’était pas l’obéissance ni la pauvreté. C’était la chasteté. À maintes reprises, j’ai bien failli tromper ma gente Dame.
    — Des envies comme ça, moi, je n’en ai plus.
    Garin se tut un long moment et ferma les yeux. Le crépitement de la rare pluie et les roulements de tonnerre s’immiscèrent entre eux.
    — Je te crois. Mais je crois aussi qu’il y a une raison à cela.
    — Ah ouais.
    — Oui. J’ignore laquelle, mais il y en a une. C’est vraiment très curieux. Rien n’arrive sans raison. Moi, j’y vois une bénédiction. Cela te protégera. Comme un bouclier pour aller avec ma gente Dame.
    — Les voyants pullulent sur cette montagne à ce que je vois.
    — Hein ? Ah ! Mais bien sûr. Tiens, regarde, tu en es un aussi, dit le vieillard en riant.
    Un coup de tonnerre fit trembler le sol près d’eux et déclencha une rafale. Garin reprit :
    — Ma chasteté m’ayant privé de la paternité selon la chair, elle m’a jadis accordé en échange une paternité choisie selon l’esprit. Je n’ai jamais usé de ce privilège avant aujourd’hui. Mais, à présent, voici que j’ai soudain l’envie de m’en prévaloir. Sois donc mon fils, Louis.
    Saisi, le jeune homme fixa Garin. Il ne sut que répondre. Il fallait que ce soit pour le vieillard un aveu émouvant, car il avait les larmes aux yeux. Il ne pouvait se douter que, pour Louis, le père ne représentait rien de positif, au contraire.
    *
    Quelques jours plus tard
    Le camp était désert, sinistre. Dès qu’il y mit les pieds, Louis sut que personne n’y reviendrait plus. Il connaissait trop ce silence figé et tout ce qu’il avait d’irrémédiable. Le sol piétiné par des sabots ferrés avait bu des traces de sang qui s’étaient amalgamées aux cendres des feux éparpillés. Les pans lacérés d’une tente qui tenait encore debout claquaient au vent comme une bannière morbide. Plus loin, un petit paquet de chiffons maculés frémissait pitoyablement comme une chose vivante sous le vent qui rasait le sol. Louis se pencha pour le ramasser. C’était une poupée de son. Sa face souriante à peine ébauchée avec un peu de fil rouge se brouilla sous les yeux du jeune homme.
    Des coups de vent gémissaient d’une voix monotone depuis les plus hautes cimes. Louis, qu’une rage glacée avait transformé en ombre, hurla en son âme :
    « Je le savais, que ça n’allait pas durer. Je le savais. Et

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