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Le jardin d'Adélie

Le jardin d'Adélie

Titel: Le jardin d'Adélie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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expérimentés peuvent faire des ratages. Ils ont pour la plupart davantage l’habitude des pendaisons. Ils manquent de pratique avec la hache. Votre larron sera-t-il seulement capable de faire le travail ?
    Thierry se permit d’intervenir :
    — En tout cas, messire, je puis vous garantir qu’il a du nerf et qu’il s’est sacrement bien défendu à l’épée.
    — Hum. Nous verrons bien. Qu’on aille me le quérir. J’ai des recommandations à lui faire.
    Louis s’était levé avant l’aube, mais n’avait pas bougé de sa chambre. Trop de regards dédaigneux allaient bien assez tôt se poser sur lui. Plus que jamais il avait soif de solitude. Il s’était efforcé de passer le reste de la nuit à se changer les idées en se rappelant l’abbaye. Elle lui manquait. Il regrettait amèrement d’en être parti, bien qu’il se répétât sans cesse qu’il n’avait fait qu’accomplir un devoir ingrat. Cette arrestation, tout ce qui avait suivi, tout cela n’avait été qu’une erreur, un incident de parcours. Sa décision était prise et il n’avait pas le choix. Dès le lendemain il allait reprendre la route. Il lui fallait vivre. Vivre, quel qu’en soit le prix.
    Mais pour que lui puisse vivre, il fallait accepter qu’un ami innocent meure.
    Depuis son réveil, Louis avait mis son « éteignoir » à l’œuvre ; il s’était efforcé de couper tout lien affectif qui le rattachait à Garin. Pour être en mesure de mettre à mort ce vieillard qu’il estimait, il lui fallait en faire un non-homme. Beaumont devait perdre jusqu’à son identité pour n’être plus qu’une espèce d’objet articulé. Après tout, ce ne pouvait être pire de tuer un homme que de tuer un chien ou un mouton. Ou encore un rat. Tous les individus du règne animal avaient le sang rouge. Tous, ils se débattaient et criaient. Tous étaient des choses. Firmin aussi était une chose et, un jour, il allait l’avoir à sa merci. Mais pour cela il lui fallait vivre. Voilà, c’était tout simple. Il n’y avait plus désormais de place pour les exhortations de la conscience. L’amour, la musique et les belles images devaient être repoussés au loin, car ils dérangeaient trop.
    On vint chercher Louis pour le mener au tinel* où les notables achevaient leur déjeuner. Une grosse femme vint lui porter un gobelet de tisane brûlante dont l’arôme acidulé le fit cligner des yeux.
    — Alors, Ruest, bien dormi ? lui demanda le bailli. Sais-tu qu’il est passé sexte ?
    — J’attendais.
    — Ah ! bien sûr. Tu attendais. Toujours déterminé à servir ton roi, même si cela signifie que tu dois tuer un ami de ta propre main ?
    — Quel ami ? demanda Louis d’une voix un peu tremblante.
    — Hum ! Trêve de propos oiseux. Tiens, prends et écoute-moi bien, Ruest.
    Le bailli jeta un regard en coin à Arnaud, comme s’il était agacé par sa présence. Le noble souriait à Louis d’un air vicieux, rempli d’un dégoût hautain. L’homme taciturne ne bougea pas, sauf pour accepter l’objet ébréché qu’on lui tendit. C’était un rasoir qui ne devait pas avoir été entretenu depuis des années. Louis songea aux beaux cheveux blancs de Garin, soyeux comme la neige neuve du Nord, qui à eux seuls pouvaient faire dévier l’épaisse lame d’une hache.
    — Enlève-lui tout, sauf sa chemise pour la décence. Prends soin de bien le fouiller. Tout ce qui est sur lui t’appartiendra. C’est la coutume.
    — Sauf l’épée, comme de raison, se hâta de rectifier Arnaud avec inquiétude.
    — Il m’a donné son épée, dit Louis.
    — Peu m’en chaut, dit le bailli. Les manants n’ont pas le droit d’en posséder.
    Le géant jeta sur Arnaud un regard noir.
    — C’est regrettable. J’avais besoin de m’exercer à l’épée également.
    Le noble se tortilla sur son banc.
    — Ne compte pas sur des gages non plus, dit le bailli. De sauver ta misérable vie te paie amplement.
    Arnaud ricana, savourant sa vengeance qui s’avérait encore plus délicieuse qu’il n’aurait osé l’espérer.
    — Ah, reprit le fonctionnaire, j’allais oublier. Prends ceci.
    Il poussa vers Louis une étoffe noire et informe. Une cagoule. Le jeune homme refusa d’un signe de dénégation et dit :
    — Tout le monde sait déjà qui je suis.
    — C’est effectivement possible. A-t-on idée d’être aussi grand ! Mais ce n’est pas là l’unique utilité d’une cagoule : elle sert également à

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