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Le jardin d'Adélie

Le jardin d'Adélie

Titel: Le jardin d'Adélie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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disjointes. Des enfants turbulents tentaient constamment de s’en approcher pour caresser la fourrure sombre de l’animal, mais les mamans vigilantes les tiraient en arrière en piaillant d’inquiétude. Quelque part dans la foule hirsute qui grossissait d’heure en heure depuis prime, un troubadour ivre avait imprudemment échangé ses récits d’amour courtois pour une paillardise qui avait ébouriffé le plumage de ses voisines. Leurs protestations furent ponctuées par les claquements des cordes de son luth qu’on lui fracassa sur la tête et il trébucha contre une brouette pleine de foin que, pour une raison ou une autre, on avait omis d’éloigner. La charrette elle-même fut renversée par une marmaille ravie qui y sauta avec force cris d’excitation. Tous les vide-goussets du voisinage s’étaient donné rendez-vous au village où les distractions se faisaient généralement rares. Leur récolte serait d’autant meilleure que les habitants étaient distraits par de passionnants commérages concernant l’exécution.
    — Pourquoi diable a-t-on monté une hart pour un homme à qui on va couper le cou ? fit remarquer une matrone à sa voisine qui vendait du cidre.
    L’autre répliqua :
    — J’en sais trop rien. Mais, à ce qu’y paraît, on va en avoir deux. Elles se turent et, comme bien d’autres, regardèrent le poteau au bout duquel pendait un nœud coulant.
    — Mais ils y ont point mis d’échelle.
    — Les voilà ! cria quelqu’un. L’ours et son maître disparurent dans la cohue.
    — Ouvrez le passage ! ordonnèrent des gardes portant les couleurs des d’Augignac.
    Les six cerbères mal vêtus d’Arnaud se trouvaient parmi eux. Les gardes formèrent une haie afin d’éviter tout débordement de cette foule compacte dans laquelle s’étaient égarés ici et là quelques chiens trop curieux.
    Louis dut serrer davantage les guides du mulet qui se mit à braire d’angoisse. Deux adolescents ivres suffirent à déclencher les huées des spectateurs. Aliments pourris, crachats et injures se mirent à pleuvoir indifféremment sur l’exécuteur et sa victime. Tous deux encaissèrent avec une dignité qui en imposa à un observateur attentif dont l’esprit n’avait pas été trop embrouillé par le mauvais vin en vente chez les gargotiers du voisinage. Installé avec quelques dignitaires, dont les d’Augignac, sous un dais au centre de la place, Friquet de Fricamp porta pensivement la main à sa tonsure que le soleil de l’après-midi avait un peu rougie.
    Le grand bourreau abandonna les guides à un homme d’armes. Il regarda l’échafaud. Il lui rappelait les scènes de crucifixion vues à l’abbaye qui, après tout, dépeignaient une exécution capitale. Cet échafaud devait aussi être une sorte de Calvaire. Sauf qu’il allait n’y avoir qu’un seul larron aux côtés de l’innocent condamné.
    Il grimpa seul l’escalier abrupt menant à la plate-forme. La foule retint son souffle à sa vue. Le silence soudain le fit reculer d’instinct vers la partie arrière de l’échafaud, où il attendit. Deux valets firent trembler la construction en venant poser juste à ses pieds un lourd billot dont ils assurèrent la stabilité à l’aide d’un support vertical installé au-dessous, de manière à diminuer l’effet du recul de la hache. Louis les regarda faire sans bouger de sa place. Le bailli monta à son tour et le rejoignit. Il tenait un rouleau de parchemin et allait faire office de héraut. Il ordonna à Louis tout bas :
    — Prends la hache. Tiens-la devant toi.
    Sentant peser des centaines de regards sur chacun de ses gestes, Louis obéit et alla chercher l’arme qui avait été appuyée au pied de la potence vers laquelle il leva brièvement les yeux. La corde rêche se balançait doucement au vent, au-dessus de sa tête, contre le ciel enfumé.
    Depuis sa place à l’ombre du dais, Arnaud ricana méchamment. Personne ne lui prêta attention.
    La hache du bourreau était conçue non pas pour donner une mort rapide, mais pour châtier. C’était une espèce de hachoir primitif, peu maniable, mal calibré et aiguisé de façon très sommaire. La lame non polie était lourde et large. Louis avait remarqué que, son poids se situant principalement vers l’arrière, elle avait tendance à dévier un peu de sa cible lorsqu’il l’abattait. Elle avait près d’une quarantaine de pouces de long et devait peser environ huit livres. La lame convexe

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