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Le jardin d'Adélie

Le jardin d'Adélie

Titel: Le jardin d'Adélie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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et commença à s’éloigner. Garin n’insista pas. Son regard clair et lucide se posa sur le dos de celui qui allait devenir son exécuteur.
    — Louis.
    Le jeune homme s’arrêta sans faire face au chevalier, qui dit :
    — Que saint Adrien {113} te guide et fasse que tu aies la main sûre.
    — Il me guidera peut-être, mais c’est quand même moi qui tiendrai la hache, pas lui.
    La grande silhouette grise disparut dans l’escalier menant au rez-de-chaussée. Garin le regarda partir et comprit la sagesse inhérente à ses propos laconiques. Mieux valait en rester là et ne pas se répandre en adieux touchants, afin de ne pas rendre l’épreuve à venir plus pénible encore.
    Cette nuit-là, à défaut de dormir, Louis put se reposer dans un lit de plumes. Dès qu’il fermait les yeux, l’obscurité se peuplait d’images furtives. La plupart évoquaient de ces petites choses anodines, inoubliables, qui rendaient plus belle encore une amitié déjà précieuse : la grotte de Garin, bien tenue, avec sa tenture en peau que le vieillard avait délicatement ornée, la cruche en grès posée sur sa tablette à côté d’une meulette de fromage sec, de quelques grives et d’un bouquet de romarin frais. Le visage souriant de Garin lui apparut. Avec sa bouche édentée et ses rides, il était beau. Ses prunelles bleues étincelaient d’un émerveillement juvénile. Il émanait de la prestance sereine du vieil homme une sorte de lumière qui le rendait inaltérable. Louis avait l’impression que Garin avait vu tout ce qu’il y avait à voir en ce monde, du clair à l’obscur, qu’il en avait beaucoup souffert, mais que, inexplicablement, il avait acquis la faculté de n’être atteint que par ce qui l’illuminait davantage. Dans la modestie même de son existence recluse, Garin demeurait un grand homme. Et c’était lui, Louis, qu’on chargeait d’arrêter tout cela. Cette vie pleine, bonne, riche d’un trésor que nul n’avait pu trouver faute d’avoir mieux regardé. Lui, le moins que rien issu d’une pénombre indigne, il allait devoir éteindre cette admirable lumière qu’il aimait. Qu’il aimait. C’était trop tard.
    « Je ne pourrai jamais faire ça. Pas moi. Pas lui. Je ne veux pas. Qu’ils me pendent », se dit-il en se tournant sur le flanc. Il enfouit son visage dans les oreillers bombés pour y assourdir son tourment.
    Devoir couper la tête de celui qui, pendant quelques jours, lui avait demandé d’être son fils. Comme si cela avait été une faveur.
    « J’aurais dû m’en douter que le sort allait se jouer de moi. J’aurais dû refuser. Ce n’est pas le bon. C’est l’autre que je veux ! C’est pour l’avoir, lui, que j’ai demandé à vivre. »
    Mais était-il juste d’exiger la vie d’un père aimant, ne fût-ce que pour lui refuser un sursis d’un jour, contre celle d’un père dénaturé ? Sa haine envers Firmin valait-elle pareil sacrifice ?
    « Si ce n’était pas moi le bourrel, c’en serait un autre, tempérait la voix de sa raison. Il est foutu de toute façon, je n’y peux rien. En plus, j’y passerais, moi aussi, alors que lui demeurerait en vie. C’est trop bête, à la fin. Où serait-elle, la justice, là-dedans ? Je n’ai pas le choix. Il faut que je le fasse. Il le faut. Il est malade. Il me l’a dit. Mais… moi, un bourrel ? Je ne pourrai jamais. Pas pour ce pauvre vieux. »
    Louis ne savait plus que penser. Il ne savait plus que faire. Il regrettait de ne pas avoir tout raconté à Garin. Lui aurait tout compris, il aurait su le conseiller. Mais il était trop tard, désormais. Louis n’allait le revoir que pour le conduire à la mort.
    *
    — Songez aux épidémies la prochaine fois que vous incarcérerez quelqu’un, jeune d’Augignac, fit remarquer le bailli à Arnaud en présence de son père. Vous auriez dû leur laisser au moins un seau d’aisance. Encore heureux que notre bourrel, lui, n’ait pas souffert de ses conditions de détention.
    — Ni l’un ni l’autre n’avaient de quoi me payer le gîte, alors, peuh {114} …
    — Vous vous êtes largement dédommagé avec le butin que vous leur avez pris. Maintenant, suffit. J’ai bien d’autres soucis en ce moment. L’exécuteur, entre autres.
    — Eh bien, qu’y a-t-il à son propos ?
    — Il y a que c’est un débutant, voilà. Décapiter un homme, même vieux et malade, n’est pas affaire à prendre à la légère. Même les bourreaux les plus

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