Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Le jardin d'Adélie

Le jardin d'Adélie

Titel: Le jardin d'Adélie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
Vom Netzwerk:
disait Margot.
    Arnaud se calma quelque peu et se mit à éponger maladroitement le bébé ainsi que son bras, sous le regard plein de reproches de la servante qui avait aussi fait office de sage-femme. Le nouveau-né hurlait. Sa langue humide tremblait dans sa bouche. Arnaud dit :
    — S’il me faut en plus éduquer et doter une fille…
    C’était impossible, à moins qu’il n’acceptât d’hypothéquer le domaine, de s’endetter à un point tel que ses débiteurs risquaient éventuellement de le faire emprisonner ou de saisir le peu de biens qui lui restaient. C’était hors de question. Le jeune veuf détailla le visage rouge du bébé : il était chiffonné et enlaidi par une bouche trop grande, déjà vorace. Les pleurs d’une fille étaient exaspérants. Tournant à peine la tête, Arnaud dit :
    — Margot.
    — Oui, messire.
    — Tu peux disposer. Mande-moi Thierry.
    — Bien, messire. Puis-je reprendre la petite, maintenant ?
    — Non. Laisse-la-moi un moment. Va. Dès l’aube tu veilleras à lui trouver une nourrice.
    Il espéra que sa voix ne sonnait pas faux.
    Peu après, le serviteur se présentait à lui. Arnaud ne lui laissa pas le temps de se répandre en civilités. Il renveloppa gauchement le bébé dans sa couverture tachée et le posa dans les bras hésitants du maître d’armes.
    — Tu sais ce qu’il te reste à faire.
    Thierry blêmit. Arnaud poursuivit :
    — Utilise un matelas si tu veux. Peu m’importe comment tu t’y prendras en autant que tu me ramènes son corps intact pour les funérailles de sa mère. Va.
    Thierry avait erré pendant des heures dans des rues oubliées par la nuit. Malgré la faim, son fardeau minuscule s’était endormi en toute confiance dans ses bras.
    — Je ne peux pas. Je ne peux pas faire ça, se répétait-il avec désespoir.
    Non, sa loyauté envers son maître ne pouvait aller jusque-là.
    Matines avaient sonné au clocher d’un grand moutier non loin du lieu où il se trouvait.
    Thierry se tut. Antoine, qui l’avait écouté sans intervenir, reprit la parole :
    — Ne te fais plus de soucis, mon fils. Je me charge de tout. Ton secret sera sous bonne garde et ton maître n’en saura rien.
    À quelques jours de là, le jeune veuf d’Augignac enterra sa malheureuse épouse et un bébé mort-né qu’il n’avait jamais vu et auquel il ne prêta qu’une attention de convenance. Il ne se rendit jamais compte qu’il ne s’agissait pas de sa fille.
    Une famille des faubourgs avait reçu d’un moine au visage caché par son capuce une escarcelle bien garnie en échange de leur fillette qui n’avait vécu qu’un instant De retour à l’abbaye, Lionel, le bibliothécaire, avait maquillé le petit cadavre, reproduisant à la base du cou la même piqûre qu’il avait préalablement examinée sur l’enfant rejetée, au cas où le père dénaturé aurait consenti à jeter un ultime coup d’œil à sa fille sous sa couverture tachée avant qu’on ne la prépare pour les obsèques. Lionel savait que, pendant des années, cette famille allait être tenaillée par l’envie de raconter que l’une des leurs avait été ensevelie chez les nobles. Si l’un des membres finissait par succomber à cette envie, le récit allait sans nul doute se voir au fil des ans tellement enjolivé qu’il allait en devenir méconnaissable. Le moine visiteur, en l’occurrence lui-même, allait être transformé en sorcier et le tombeau, en marmite.
    Avant la fête de la Saint-Georges {120} , la fillette toute neuve, adorable glaise humaine encore intacte, était devenue l’enfant la plus choyée de Paris. Une abondance de pères remplaça bientôt celui qui l’avait répudiée. Pour tous les moines, elle se nommait Jehan de Saint-Germain {121} . Seulement deux d’entre eux, l’abbé et Lionel, connaissaient sa réelle identité, de même que son sexe.
    Ce fut à cette époque qu’Antoine se mit à errer toutes les nuits par le jardin du monastère. Il avait compris très rapidement que Jehan allait devoir demeurer à l’abbaye plus longtemps que prévu. À cause de l’épidémie, il y avait partout trop d’orphelins et plus assez de bonnes âmes pour prendre soin d’eux. De plus, quelqu’un avait déjà ménagé à l’enfant une place dans son cœur laissé vacant par le départ d’un autre.
    « Est-ce là le dessein de la Providence ? » se demandait Antoine.
    *
    Caen, octobre 1350
    La ville se trouvait en Basse-Normandie, à

Weitere Kostenlose Bücher