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Le jardin d'Adélie

Le jardin d'Adélie

Titel: Le jardin d'Adélie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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voyez-vous… il a renversé l’encrier sur elle lorsqu’il l’a déposée sur la table.
    — Sur elle   ?... Mais, mon fils, vous n’ignorez pas que c’est ici un couvent d’hommes.
    — Je le sais, oui. Seulement…
    — Laissez, laissez. Nous y reviendrons. Qu’est-ce que c’est que cela ?
    Antoine repoussait légèrement la couverture de son index boudiné. La joue gauche, le cou à peine visible ainsi que l’épaule du nourrisson étaient également maculés d’encre. Le bébé remua et gémit à cause de la caresse humide de la nuit contre sa peau neuve. Le doigt d’Antoine s’attarda à la base du cou, du côté gauche. À cet endroit, un pli soyeux abritait une sorte de grosse piqûre où un peu de sang se mêlait incognito à l’encre.
    — Une petite blessure, je crois, répondit l’homme piteusement. Ce doit être à cause de la plume.
    — La plume ? Comment une plume peut-elle blesser ainsi le cou d’un nourrisson ?
    Ils prirent place sur un banc, et Antoine déposa le panier entre eux. Le bébé se rendormit. Le jeune homme dit :
    — Je vais tout vous expliquer, mon père. Mon nom est Thierry et je ne suis pas le père de cette enfant…
    *
    Paris, quelques heures plus tôt
    Les cris de sa femme s’étaient enfin taris. Cela avait duré longtemps. Beaucoup trop longtemps pour que la nuit soit propice au repos. La tête prise entre ses mains crispées, l’homme sanglotait, ivre. L’auberge qu’il avait louée en entier sur un coup de tête fut plongée un instant dans un silence de mort. Il se prit à souhaiter le retour de la vacelle* trop bavarde qu’il avait congédiée quelques heures auparavant. Des vagissements outrés s’élevèrent. L’homme leva son visage aveuli serti d’yeux larmoyants vers la porte de la chambre qui consentit enfin à s’ouvrir. La sage-femme s’avança vers lui avec un air grave. Elle tenait dans ses bras un paquet emmailloté. Arnaud se leva et repoussa plus loin sur la table un parchemin couvert d’écriture rouge. Ce même parchemin et cette même encre rouge qui avaient fait l’objet de reproches de la part de sa femme ce matin même : il n’avait pas besoin de francin* ni d’encre rouge pour calculer ses dettes.
    — Messire, je suis désolée…
    — Quoi ? Quoi ? demanda Arnaud, éperdu, n’osant pas s’avancer.
    — Votre femme…
    — Elle est morte ?
    La grosse Margot ne put qu’acquiescer en se pinçant les lèvres pour ne pas pleurer. La mère n’avait pas vingt ans et ce bébé était son premier. Arnaud émit un grognement sourd et dit :
    — C’était couru d’avance. Le climat du Nord ne lui réussissait pas. À moi non plus, d’ailleurs.
    Il n’eut pas d’autre réaction. Ce n’était un secret pour personne qu’Arnaud n’avait pas aimé sa jeune épouse qui l’avait néanmoins suivi dans son exil sans une protestation, en dépit des fatigues de sa grossesse et d’une santé déficiente.
    Avec la mort du baron d’Augignac, survenue quelques mois plus tôt, Arnaud avait été contraint de partir pour le pauvre domaine de Normandie qui constituait son seul héritage. De la minable somme d’argent qu’il avait également reçue, plus rien ne restait. Ses derniers sols se volatilisaient avec cette mauvaise nuit passée à l’auberge. Tout le reste avait été grignoté au cours de l’hiver par de longues parties de brelan* et par quelques extravagances « nécessaires, avait-il dit, pour mettre un pied à la Cour ». Mais le coûteux séjour à Paris ne lui avait rien rapporté de ce qu’il avait escompté : le roi Jean {119} s’était montré tout aussi insensible à ses loyaux services que l’avait été Charles de Navarre.
    Arnaud tendit la main vers le paquet blanc que la servante tenait précieusement. Elle le lui remit et il écarta les pans de la couverture sans ménagements.
    — Une fille !
    — Messire…
    — Qu’ai-je besoin d’une fille !
    — De grâce, prenez garde. Ne la tenez pas comme ça.
    — Par la mordieu, je suis déjà à demi ruiné !
    En déposant l’enfant avec rudesse sur la table, il accrocha la plume plantée dans l’encrier. De l’encre rouge plut partout, et il retrouva la plume nichée dans la couverture à demi arrachée, tout contre la poitrine de l’enfant.
    — Merde ! Que vais-je faire, maintenant ? Hein ? Que vais-je bien pouvoir faire ? Comme si je n’avais pas suffisamment d’ennuis comme ça !
    — Je vous en prie, messire,

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