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Le jardin d'Adélie

Le jardin d'Adélie

Titel: Le jardin d'Adélie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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du gouverneur de Caen. Il a manifesté le désir de t’avoir en tant qu’exécuteur pour sa cité.

Troisième partie
    1352-1358

Chapitre IX
    Une maison rouge
    Paris, 10 avril 1352
    L’abbé Antoine avait été incapable de se rendormir après matines. « Ce doit être l’âge », pensa-t-il avec mélancolie. Tout en rondeurs sous sa coule tendue au-dessus d’un estomac plantureux, le moine vieillissant marchait en se dandinant. Son visage de poupard avait conservé le même teint fleuri et le même air avenant. Avec sa couronne de cheveux grisonnants et son regard tendre, il inspirait tout de suite confiance.
    Ces dernières années, ses tâches d’administrateur s’étaient considérablement alourdies. Il était bien loin, le temps des querelles d’idées avec les universitaires ! Lorsqu’il avait dû, en 1345, leur abandonner ses droits sur les églises Saint-Côme et Saint-André, la mainmise de l’Université sur la partie du bourg enclavée dans le mur de Philippe Auguste avait été complète. Mais ce genre de tractation souvent pénible faisait partie de la vie d’un abbé. On ne pouvait trouver à y redire. L’administration de la prison était bien pire. Et la guerre était venue. Et, avec elle, la peste. C’était là que tout avait commencé à changer. C’était à cette époque qu’il avait dû quitter la quiétude de son office et retrousser les manches de son froc pour se mettre au travail comme tous les autres moines, humble parmi les membres survivants de sa communauté qui, eux aussi, étaient devenus plus humbles. Force lui avait été d’admettre que cette leçon du ciel lui avait été profitable : il avait pu démontrer de façon concrète l’attachement qu’il vouait à son abbaye et à ceux que ses murs abritaient. Cette expérience avait été inoubliable.
    L’insomnie chronique était l’une des conséquences des devoirs qui lui incombaient. Il décida d’aller faire un tour dans le jardin. Une bonne odeur de terre humide fraîchement retournée racontait enfin les premières fables du printemps, et la brise tiède défroissait les articulations en même temps que l’humeur.
    Une ombre furtive se glissa entre le mur d’enceinte et la chapelle, et ne reparut pas. « Évidemment, songea Antoine, il fallait bien que notre frère tourier, le cher Augustin, aille goûter en secret à cette liqueur de cassis. » Ce petit manège nocturne était bien connu de tous, et le moine fautif ne s’en repentait toujours pas après vingt ans. C’était une cause perdue : lorsque l’hiver n’était pas le prétexte à cette « prise de remèdes », c’étaient les pluies de printemps, la chaleur estivale ou les phases de la lune.
    Mais le rôdeur n’était pas retourné dans son cagibi. Après avoir fait un détour par la chapelle de la Vierge, il commença à longer le mur duquel pendait un enchevêtrement de lierres dénudés. Antoine reconnut l’un de leurs propres paniers d’osier dont le contenu, enveloppé d’un linge, avait été posé en haut des marches de la chapelle. L’abbé alla le prendre et ne se donna même pas la peine d’en vérifier le contenu. Il savait.
    — Holà, l’homme, appela-t-il depuis les marches.
    L’interpellé se figea sur place, sa silhouette à peine visible sous la lueur d’un falot. Ce devait être l’un de ces nombreux pères de famille qui, dépourvus de ressources, se voyaient contraints d’en venir là. Par contre, quelque chose clochait : l’individu était armé. Antoine garda son calme et dit :
    — Ne crains rien, mon fils, je suis le père abbé. Viens là, entrons un moment dans la chapelle. La brise est encore un peu frisquette.
    Elle ne l’était pas. Mais Antoine avait remarqué que l’homme frissonnait. Antoine se retourna et attendit. L’individu, qui s’était approché, comprit. Il laissa respectueusement à la porte sa masse d’armes et sa dague. À la lueur des cierges en cire d’abeille, le moine fut en mesure de constater qu’il n’était pas intimidé, mais plutôt profondément troublé. La couverture de laine qui enveloppait le contenu du panier volé était éclaboussée de taches étoilées d’une couleur vermeille suspecte. Antoine se hâta de découvrir le visage froissé d’un nouveau-né. Autant que l’on pouvait en juger, le bébé était indemne. L’homme s’empressa d’expliquer :
    — N’ayez crainte, mon père. Ces taches, c’est de l’encre. Le maître,

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