Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Le jardin d'Adélie

Le jardin d'Adélie

Titel: Le jardin d'Adélie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
Vom Netzwerk:
Mais en même temps que son reflux lui vint une terrible prise de conscience : « Qu’ai-je fait là ? » C’était très mal de frapper les gens. Seul Père avait le droit de le frapper, lui, et c’était toujours parce qu’il le méritait.
    Il se releva d’un bond à la vue du chef de bande qui se réveillait en se lamentant. Il était trop tard pour les regrets, maintenant, le mal était fait. Il lui avait été si facile d’assommer Hugues.
    — Tu n’es qu’un rat, lui dit-il.
    Après avoir rajusté sa hotte, qui heureusement n’avait pas trop souffert de l’incident, Louis récupéra son arme. Il dit, sans regarder personne :
    — Fallait pas dire n’importe quoi.
    Il fit quelques pas en avant. Les enfants s’écartèrent en silence sur son passage.
    *
    La nuit était presque tombée lorsque Louis se rendit pleinement compte qu’il était à nouveau seul et qu’il marchait. Ses pas l’avaient machinalement ramené à la maison. Père devait être rentré. C’était trop tard maintenant pour compter esquiver le châtiment. À bout de forces, le dos, les jointures des mains et les pieds nus écorchés, il rentra et laissa choir sa hotte vide dans l’arrière-boutique. Il assujettit l’épais correau* de fer derrière la porte afin de la verrouiller pour la nuit.
    La chaleur de la grande pièce était habituellement son seul réconfort après une journée passée à arpenter les rues de la ville. Le point final de chaque jour tenait en un tout petit geste qui motivait tout ce long travail et en constituait le but : le dépôt des piécettes hétéroclites acquises quotidiennement dans une jarre en terre cuite qui reposait sur la table de nuit de la chambre conjugale, située à l’étage. Seul Firmin avait le droit de toucher au contenu de cette jarre dans laquelle Adélie versait également chaque soir les recettes de la boutique. L’homme ne se donnait pas la peine de la cacher ; il savait qu’il n’y manquait jamais une obole.
    Ce soir-là, Louis ne se rendit pas à la chambre. Il demeura cloué dans l’encadrement de la porte qui menait dans la pièce à vivre, hésitant à faire un pas de plus. Firmin était là. Assis à table, il donnait l’impression d’attendre le retour de son fils depuis un bon moment. Le gobelet qui était posé à sa droite avait déjà été rempli à plusieurs reprises comme en témoignait un cruchon de vin presque vide. Le boulanger était un homme trapu, tassé sur lui-même, aux allures de dogue. Il gardait ses cheveux brunâtres presque ras à cause de la chaleur du four qu’il approchait pourtant de moins en moins. Il frotta son nez rougi par la mauvaise vinasse et leva vers l’enfant ses petits yeux porcins, sombres et ronds comme des billes. Il était passablement éméché.
    — Tu la fermes, cette porte, espèce d’idiot ? dit-il en grondant.
    Louis se reprit et obtempéra. Il avança courageusement vers l’ivrogne, à qui il remit directement la somme gagnée au cours de la journée. Même la pièce supplémentaire qu’il avait reçue de la domestique à la maison de pension changea de mains. Firmin n’était pas encore assez ivre pour être incapable de faire les comptes sur un coin de la table. L’opération complétée, il leva les yeux vers Louis qui était resté planté devant lui, tête baissée et en attente de son congé ou, plus probablement, de sa punition.
    — Il y a un sou de plus, dit le boulanger.
    — Oui, Père, dit Louis dont le regard erra successivement sur ses orteils crasseux, ses doigts ensanglantés et un tranchoir qui attendait sur la table. Ce demi-pain de la veille déjà durci, dont l’intérieur avait été évidé, était prêt à recevoir deux louches d’un ragoût préparé par Adélie peu avant son départ. Il était posé sur un plateau qui était lui aussi appelé tranchoir.
    — Je n’ai pas volé ce sou, Père, dit Louis qui tentait d’éviter le regard déplaisant de Firmin en regardant ailleurs comme s’il était coupable.
    L’homme ricana.
    — On t’a fait l’aumône ?
    — Oui, Père. Je… je crois.
    — Tu n’as pas honte ?
    — Non, Père. Je n’ai rien demandé.
    — L’on t’a pris pour un mendiant. Tu sais ce que je pense des mendiants.
    Louis ne songea pas un instant que son allure avait pu attirer la pitié. Il n’avait rien connu d’autre et croyait que les belles choses n’étaient simplement pas faites pour lui. Qu’il était trop peu important pour en

Weitere Kostenlose Bücher