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Le jardin d'Adélie

Le jardin d'Adélie

Titel: Le jardin d'Adélie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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pourtant, sans cette troisième faction qui représentait la grande majorité de la population, rien n’aurait pu être possible, ni science, ni lettres, ni vie. De toute éternité, les paysans ont toujours été aussi lents, dociles et patients que l’est la terre qu’ils travaillent. Ils sont éternels et immuables dans leur misère. Les malheureux représentants de cette populeuse couche sociale se faisaient tondre sans un mot depuis trop longtemps pour faire belle figure aux preux qui s’en allaient, bannières brodées au vent, perdre le pays sur le champ de bataille. Une multitude de nobles prisonniers et rançonnés n’étaient libérés que pour prélever des sommes faramineuses sur leurs terres dont la plupart avaient déjà été pillées par les routiers.
    C’était pitié que de traîner un serf à la guerre. « Oignez vilain, il vous poindra. Poignez vilain* il vous oindra », disait-on encore avec condescendance chez les familles nobles d’ancienne lignée. Or, Jacques Bonhomme, après avoir fourbi ses armes séculaires, faux, serpes, épieux et couteaux, s’en alla vendanger seigneurs et familles dans leurs châteaux.
    Malgré l’horreur inhérente à toute révolte, la leur fut profondément, tragiquement humaine : ils ne cherchaient qu’à protéger le peu qu’ils possédaient. Il ne leur venait pas à l’esprit qu’ils puissent avoir davantage.
    Leur chef se nommait Guillaume Carie {172} . Il assura l’homogénéité qui manquait à cette armée civile composée en grande partie de gens de labour. La plupart d’entre eux ignoraient la raison de toute cette pagaille. Ceux qui s’étaient d’abord joints à leurs compères par pur esprit de fraternité s’enthousiasmèrent pour l’enjeu qui leur fut présenté. Ils acceptèrent de se mettre en ordre par bannières et d’aller commettre des ravages simplement parce qu’ils voyaient les leurs agir de même. Ils constituaient une force brute, redoutable par sa spontanéité même.
    — Débarrassons-nous des nobles, et les routiers partiront eux aussi, dit un jour Carie à ses gens qui s’étaient installés autour de lui au fond d’une placette oubliée.
    Les plus âgés se firent un siège de tout ce qu’ils avaient pu trouver, des seaux renversés aux bissacs. Quelques chanceux héritèrent d’une escabelle endommagée. Firmin s’était laissé choir sur un tonnelet qu’on avait eu la prévenance de mettre de côté pour lui : pas de seau renversé pour ce vieil artisan, presque un noble, qui, depuis un certain temps déjà, leur faisait don d’une partie de ses fournées quotidiennes ; jamais gueux n’avaient eu aussi souvent l’occasion de souper au pain de Chailly.
    De son côté, Firmin était heureux de la considération dont il jouissait. Enfin, on l’estimait pour ce qu’il faisait. Pendant toutes ces années, il avait cherché au mauvais endroit : les nobles ne voyaient rien et les religieux ne voyaient qu’eux-mêmes. Ces gens ordinaires, ces paysans, au moins, l’appréciaient à sa juste valeur. Avec eux, il s’était enfin trouvé un idéal, une nouvelle raison de vivre. Et tout cela pour le prix d’un peu de pain. Le mot compagnon était des plus appropriés dans son cas.
    *
    Clermont-en-Beauvaisis {173} , 10 juin 1358
    — Je vous félicite, mes amis, s’enthousiasma un Charles de Navarre ravi devant les messagers qui étaient venus lui annoncer la nouvelle. C’est une bonne pêche. Que dis-je, une excellente pêche !
    La révolte paysanne était réprimée, en grande partie grâce à ses hommes à lui.
    — Il y a de tout dans le filet, monseigneur. Du menu fretin jusqu’à la morue et à la carpe. À propos de carpe, changez-y une lettre et vous aurez de quoi vous offrir le meilleur siquet* en ville.
    — Une lettre ? Vous me faites jouer aux devinettes, à présent ? Une lettre à carpe, dites-vous ? Bien, bien. Ainsi, vous avez trouvé ce benêt de Carie ?
    — Oui, monseigneur. Nous le tenons. D’autres arrestations auront lieu dans les prochains jours.
    — Excellent. Ces soi-disant pourparlers que nous souhaitions avoir avec ces nigauds les ont tous attirés comme un hameçon auquel est accroché un bon gros ver. Nobles gens, pour le bien du royaume, il nous faut traiter cette racaille sans nous arrêter à en trier les membres. Ils ne méritent point cette attention. Hormis le chef des Jacques, bien sûr. J’ai fait prévoir un couronnement digne de lui. Je compte sur

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