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Le jardin d'Adélie

Le jardin d'Adélie

Titel: Le jardin d'Adélie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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Le tavernier non plus. Les esprits s’étaient échauffés et l’on discutait ferme. Ces derniers mois, l’ambiance des tavernes s’était modifiée de façon radicale. Les clients avaient délaissé leurs habituelles doléances et les scènes de ménage au profit de sujets politiques dont ils ne s’étaient jamais tant préoccupés auparavant. L’un d’eux disait :
    — Marcel a fait une sacrée bourde en s’aliénant les états généraux par la faute de ces meurtres. Désormais, il ne vaut guère mieux qu’un routier aux yeux de plusieurs.
    — Peuh ! s’exclama Firmin. Et tu te demandes pourquoi ? Les états généraux, c’est rempli de députés de la noblesse et de commissaires. Ils ne comprennent rien à rien. Le prévôt a bien fait de chercher à remplacer ce ramassis d’incapables par des bourgeois.
    — Peut-être bien, mais ça n’a rien donné. Les types qu’il a dénichés ne nous représentaient pas mieux que les nobles.
    Firmin regarda pensivement une mouche qui venait de se poser sur une croûte délaissée pour nettoyer consciencieusement sa tête aux yeux globuleux.
    — Mouais. Et pendant qu’on se chicane comme des abrutis, le régent n’aura qu’à lever le petit doigt de sa grosse patte pour reprendre le contrôle. Vous savez ce qu’il a fait ? Non ? Mais où est-ce que vous étiez, bon Dieu ? J’ai su qu’il a convoqué ses putains d’états généraux hors de Paris.
    — Il a fait ça ?
    — Oui, il a fait ça. Un vrai acte de guerre, et contre ses propres sujets, en plus. Il a fait savoir à tous que ses deux empotés de conseillers « avaient toujours bien servi les intérêts de la Couronne ». On passe vraiment pour les derniers des sots.
    Firmin fit un geste brusque pour attraper la mouche. Il la rata. Elle s’envola et disparut sous les combles que les années avaient recouverts d’un enduit graisseux.
    — Tu sais tout, toi, Firmin. Tu devrais passer plus de temps au bordel.
    — Où crois-tu que j’ai appris tout ça ?
    — Parce que tu parles politique aux putains, toi ?
    — Ben non. Ce sont elles qui m’en parlent. Moi, je suis trop occupé, eh, eh !
    — Sûrement pas assez, puisqu’elles sont capables de te parler. Tu vieillis, Firmin.
    — Oh, ta gueule, emmerdeur !
    Un tout jeune homme armé d’une faux entra en trombe dans la taverne.
    — Eh, le prévôt a demandé que l’Université intercède pour nous autres auprès du régent !
    — L’Université ? Pourquoi eux ? demanda Firmin.
    — Sans doute parce que le régent se sait impopulaire aux yeux du peuple. Les universitaires souhaitent ménager la chèvre et le chou. Ils sont moins scrupuleux que nous.
    — Le régent exige que Marcel lui livre une douzaine des personnes les plus coupables, dit le jeune homme.
    Un tonnerre de protestations s’éleva et la voix rocailleuse d’un autre client parvint à se faire entendre dans le tumulte :
    — Il a abaissé ce nombre à cinq ou six. Mais moi, je ne crois pas un mot de ce que cet égrotant de dauphin peut dire. Etienne Marcel non plus. Si nous lui cédons sur un point, il finira par trouver le moyen de nous avoir sur tous les autres.
    *
    Pour se tenir prêt à affronter l’autorité soudain accrue du régent, Marcel se lança frénétiquement dans ses travaux aux fortifications de Paris sans épargner les maisons de moines. Il poussa l’audace jusqu’à s’emparer de la tour du Louvre.
    Noblesse et commune s’affrontaient comme deux mégères s’invectivant depuis leurs balcons. On ne sonnait les cloches que pour le couvre-feu afin de ne pas empêcher les sentinelles d’entendre l’ennemi approcher. En campagne, la frayeur était encore pire. On avait bâti de sordides abris souterrains où les gens s’entassaient par familles entières. Grelottants et affamés, ils attendaient pendant des semaines, voire des mois, le retour de maris ou de fils qui parfois ne revenaient pas. Les routiers, anglais, navarrais et français confondus, étaient pires que les sept plaies d’Égypte. Ils ravageaient jusqu’à des moissons qui n’existaient pas encore et transperçaient le paysan aussi bien que le châtelain.
    *
    Rien n’est plus dangereux qu’un homme qui n’a plus rien à perdre. L’énergie du désespoir décuple ses forces et il se transforme en monstre.
    Le monstre collectif se nommait Jacques Bonhomme {171} . Il émergea soudain de son apathie presque millénaire. Personne n’y avait pensé. Et

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