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Le jardin d'Adélie

Le jardin d'Adélie

Titel: Le jardin d'Adélie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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avoir auparavant travaillé sous les ordres d’un maître ?
    — Ça m’est venu avec le temps et à force d’avoir reçu moi-même des coups. Ce qu’il y a de bien avec ce métier, c’est qu’on n’a pas le choix de l’apprendre comme il faut, et vite.
    Desdémone essayait de tourner vers les deux cagoulards ses prunelles suppliantes. Mais ils agissaient comme si elle n’existait pas, comme si elle n’était qu’un objet pour eux. Gérard demanda, en la pointant du menton :
    — C’est le fouet ?
    — Oui. Avec six heures au pilori et marquage au fer. Après, vous et vos assistants pourrez l’avoir pour la nuit. Mais prenez garde, hein, ne me l’abîmez pas. On me l’a offerte comme servante.
    — Sans blague ! Eh bien, tu en as de la veine ! Tu peux compter sur moi, j’y ferai bien attention. Ah, Baillehache, t’es un compagnon, toi, un vrai !
    Gérard se frotta les mains avec une délectation anticipée.
    — Pitié, dit Desdémone.
    Le bourreau de Paris questionna de nouveau son collègue :
    — Eh, c’est vrai ce qu’on raconte ? Que tu t’es exercé des mois durant avec les verges sur des bêtes mortes ?
    — Pas exactement. Sur de la bouillie d’avoine épaisse, plutôt. Et avec ceci…
    Gérard s’esclaffa.
    — Dis donc, tu devais être minable. Donner les verges ou les étrivières, c’est pourtant pas bien compliqué.
    — C’est à voir !
    Baillehache alla fouiller dans ses affaires et en ramena une canne légère et souple dont il fouetta l’air en revenant. Desdémone se renfrogna. Il tint la canne verticalement devant ses yeux et expliqua, en fixant son collègue :
    — Avec ceci, je peux porter des centaines de coups sans lacérer. Ou je peux tirer le sang au troisième coup. Donnez-moi un fouet et je saurai découper la peau en rubans comme de l’écorce de bouleau. De quoi les rendre infirmes pour la vie.
    Desdémone se mit à hoqueter de frayeur.
    — Mais la bouillie d’avoine ? demanda Gérard.
    — J’ai appris à frapper dessus à répétition sans en altérer la surface.
    Maître Gérard siffla d’admiration.
    — Comme ça, quand tu commences avec le fouet qui devient dangereux après quarante coups, tu peux finir avec la canne.
    — Tout juste.
    — Faut que tu me montres ça.
    — En fait, ce n’est pas exactement ce qui a été prévu pour elle.
    — Non ? Fais quand même voir ton fouet.
    Desdémone se tordit le cou pour voir elle aussi, car le geôlier l’empêchait de se retourner. Baillehache tira de son bissac une lanière effilée d’une douzaine de pieds de long, enroulée autour de son manche en bois d’environ deux pieds.
    — Sapristi, c’est un vrai fouet de charreton, que tu me sors là. Oh, putain, mais qu’est-ce que c’est que l’autre machin, là, dans ton sac ? C’est toi qui l’as fabriqué ?
    — Oui. Les Anglais appellent ça un chat à neuf queues et ils y mettent des hameçons.
    — Hou là ! Mais je constate que le tien n’en a pas.
    Baillehache avait dû puiser dans de douloureux souvenirs d’adolescence pour fabriquer cet instrument qui n’était pas très connu en France. Le manche en bois en était plus court que celui d’un fouet normal, et les neuf lanières de cuir tressé, plutôt fines, faisaient un peu moins de trois pieds de long. Chacune comportait trois nœuds à des emplacements divers.
    — Les nœuds suffisent quand on sait s’y prendre. D’ailleurs, j’ai l’intention de m’en fabriquer un sans nœuds, pour voir ce que ça donne.
    — Le cuir est durci par endroits. Tu ne l’as pas nettoyé ?
    — C’est voulu.
    — Ah, je comprends. Par saint Adrien, t’es un beau salaud, toi.
    — Les gars, ça vous ennuierait de remettre votre passionnante discussion à plus tard pour venir me donner un coup de main ? C’est qu’elle pèse, la gueuse !
    Le geôlier retenait par les aisselles une Desdémone inanimée.
    *
    Une plate-forme avec un banc incliné avait été montée un peu plus tôt sur la place. Tel que stipulé par le jugement, la femme fut complètement déshabillée devant les centaines de curieux qui déjà envahissaient le moindre recoin. Il y eut un tonnerre d’acclamations et de sifflements : Desdémone s’était retournée et, de façon tout à fait inattendue, elle enlaça le bourreau pour la plus grande joie du public. L’exécuteur sursauta et manqua de trébucher. Il était rare que ses victimes cherchent à le toucher.
    — Ayez pitié,

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