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Le jardin d'Adélie

Le jardin d'Adélie

Titel: Le jardin d'Adélie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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là un instant sans rien dire. Ses deux acolytes attendaient de chaque côté de la porte ouverte du logis. Hugues laissa tomber son couteau encore dégoulinant d’eau de vaisselle. Enfin, d’une voix grave, l’homme annonça :
    — Je viens pour Firmin Ruest.
    — C’est moi, Firmin Ruest, dit le vieillard depuis la pièce du fond d’où il les toisait.
    Il restait assis à table, défiant.
    L’homme au heaume s’avança et s’arrêta de nouveau à quelques pas de la table.
    — Bien sûr, dit l’homme d’une voix aimable, trompeuse.
    Firmin n’avait pas changé. Après toutes ces années, il dégageait encore la même odeur faite de transpiration aigre mêlée de vinasse bon marché. Les mêmes petits yeux porcins, sans profondeur, le fixaient depuis leur châsse de peau veinée par la couperose et la mauvaise enflure. La seule différence était que ce jour-là, enfin, il y avait de la crainte en eux.
    Le bébé regardait l’homme au heaume de ses grands yeux effarés pleins de larmes. Il avait enfoncé ses doigts potelés dans sa bouche. Les deux autres enfants se terraient en tremblant contre les jupes de leur mère. L’autre femme était demeurée seule dans un coin de la pièce. Elle triturait un torchon. Le chef fit un signe à la mère de sa main libre.
    — Emmenez-les à l’étage. Faites vite. Vite.
    Clémence obtempéra. Desdémone s’approcha pour lui venir en aide, mais l’homme dit :
    — Pas toi. Ne bouge pas de là.
    Il était moins une. L’homme au heaume vit que la main velue du boulanger sinuait comme un aspic près d’une écuelle vide vers le poignard avec lequel il mangeait. L’épée du colosse s’abattit sur la table, dangereusement près de la main de Firmin. Ses poils en frémirent. La violence du choc avait fait sursauter des chopines. La moins pansue d’entre elles se coucha et répandit son contenu vermeil sur le plateau, renversant dans sa chute une coupe délicate remplie de petites baies.
    — Ne m’oblige pas à en venir là tout de suite, dit l’homme qui pointa la gorge de Firmin du picot de sa lame.
    — Allez-vous me dire qui vous êtes, à la fin ? pleurnicha Firmin. Un Anglais ?
    — Non. Cette fleur de lys n’est-elle pas assez éloquente ? Je suis un fonctionnaire de la justice royale, et l’on m’a remis un mandat d’arrêt contre toi.
    — Mais je n’ai rien fait.
    L’homme recula et planta le bout de son épée dans un quignon de pain qu’il brandit sous le nez du boulanger.
    — Ta marque a été retrouvée quantité de fois chez les Jacques. Tu es accusé du crime de haute trahison. Suis-moi.
    — Non, Desdémone ! cria Clémence, qui était de retour.
    Le chef se retourna au moment où les deux gardes s’élançaient vers la grosse femme, mais trop tard : le pilon d’un mortier atteignit le chef à l’épaule. Le coup était inoffensif et, s’il fut douloureux, rien n’y parut. Neutralisée, Desdémone gémit de frayeur en voyant approcher l’homme.
    — Tiens, tiens, dit-il. Une complice avouée. Dieu me soit témoin que je saurai t’en punir.
    Il s’adressa aux gardes :
    — Emmenez-la. Je me charge du traître.
    Le chef bouscula Firmin jusqu’à la boutique où les attendaient les autres hommes qui, déjà, échangeaient quelques paillardises au sujet de l’opulente Desdémone.
    — Messire, attendez, appela Hugues en interceptant le géant. L’homme se tourna vers lui sans se montrer menaçant et corrigea :
    — Je vous en prie. « Maître Baillehache », c’est suffisant.
    — Bien… maître ! Puis-je savoir s’ils ont au moins une chance, même minime, de…
    Il s’aperçut que l’un des gardes s’avançait en tenant un carcan*. L’homme au heaume entreprit de lier les mains de Firmin derrière son dos et répondit :
    — Ça me paraît peu probable. Nous avons appris des choses fort compromettantes.
    Désemparé, Hugues recula, tandis que le chef rivetait le carcan au cou du vieillard. Il le fit trébucher et lui arracha ses sabots.
    — Tu n’as plus besoin de ça. En route, dit-il.
    Les autres regardèrent avec étonnement partir le vieux maître et sa servante, escortés comme de dangereux criminels. Le crime de lèse-majesté ne pardonnait pas.
    *
    Louis enleva son heaume et le posa près de lui, sous la tente. Il faillit l’échapper. Sa main gauche était prise de soubresauts et il se sentait le visage grimaçant. Seul, enfin. Le guet-apens avait réussi : il était parvenu,

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