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Le jardin d'Adélie

Le jardin d'Adélie

Titel: Le jardin d'Adélie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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approchait à pas de loup. Il pouvait déjà en ressentir l’angoisse, en dépit du soleil encore radieux. Sans savoir pourquoi, il avait pris soin un peu plus tôt de remplacer sa coule par des habits civils et avait dissimulé sa tonsure sous un chaperon. Le plus inquiétant, c’était qu’il n’avait pas trouvé de librairie sur la rue de Montmorency, et la petite avait faim. Ils entrèrent donc dans une auberge et cherchèrent une place. L’enfant, qui avait été jusque-là silencieuse, n’avait aucune idée de ce qui était réellement en train de se passer. Elle demanda :
    — Père Lionel, c’est vrai que je suis une fille, maintenant ?
    — Oui, c’est vrai. En fait, tu en as toujours été une. Mais tu étais déguisée en garçon.
    — Je préfère être un garçon. Je n’aime pas porter des robes et des capelines.
    — Tu devras bien t’y faire… Dieu a voulu que tu sois une fille, Jehanne. Il te faut l’accepter, car, vois-tu, Il a Ses raisons et on ne les connaît pas toutes.
    — Je suis content… contente que Dieu vous ait redonné votre voix.
    Lionel sourit tristement. Elle questionna encore le prêtre :
    — Pourquoi les gens s’habillent-ils tous différemment ? Pourquoi ont-ils des cheveux sur le dessus de la tête ?
    — Eh bien… c’est parce qu’ils ne sont pas des moines.
    — Ils sont laids, dit-elle catégoriquement.
    — Qu’est-ce que ce sera ? demanda soudain une vacelle* dépenaillée qui vint se planter devant eux.
    Son corsage bas énonçait avec un peu trop d’éloquence ce que devait être la seconde tâche de cette femme. Yeux écarquillés, Lionel la fixa d’un air si déconcerté qu’elle pouffa de rire.
    — Ben, dites donc, d’où sortez-vous, l’homme ? On dirait que c’est la première fois que vous en voyez. Vous voulez voir de plus près ? Toucher, peut-être ?
    Le moine se demanda soudain s’il avait eu une bonne idée en s’habillant en civil. Il ne bredouilla que quelques « euh ! » pitoyables, sans parvenir à changer son expression. Lorsque quelques rires goguenards se mirent à monter tout autour d’eux, Lionel baissa la tête comme un gamin fautif. Cette vieille habitude contractée au cours de ses années de solitude n’allait pas disparaître aisément. La vacelle eut donc devant elle un grand efflanqué qui regardait avec effarement le bois de sa table. Elle souffla, à peine méprisante :
    — Bon, ça va, j’ai compris. En tout cas, j’espère pour vous que c’est à cause de la petite. Nous avons de la soupe.
    Jehanne avait posé les mains sur son giron et se contentait d’écouter, comme si elle se trouvait encore au réfectoire de l’hôtellerie où l’on prenait ses repas en silence.
    Pendant plus de vingt-cinq ans, Lionel n’avait pas vraiment eu à surveiller son maintien ni ses expressions. Rien de cela ne pouvait porter à conséquence derrière les murs d’un couvent. Il avait tout à coup le désagréable sentiment qu’on allait prendre sa spontanéité pour un signe de légère déficience mentale. Pourtant, il avait accumulé, surtout après être entré à la bibliothèque du monastère, une véritable mine de connaissances en matière de philosophie, de lettres et de sciences. Mais il ne croyait pas bon d’en faire montre. Sa nouvelle situation lui recommandait un minimum de prudence.
    Malgré tout, avant d’être qualifié de simple d’esprit, Lionel attirait l’attention. Il y avait en lui quelque chose de l’aristocrate déchu : maigre, des traits devançant un peu son âge, une tête haute plus rêveuse que martiale… et des yeux sombres qui évoquaient les lointaines contrées des Mille et Une Nuits.
    La servante revint avec deux écuelles et un demi-quignon de pain qu’elle posa devant eux. Lionel la remercia et demanda :
    — Demoiselle, savez-vous où je puis trouver une dénommée dame Garnier de la rue de Montmorency ?
    — Je n’en ai pas la moindre idée… Ça vous fait soixante-dix sous et, si vous trouvez ça trop cher, vous pouvez toujours filer pour quêter pitance dans la basse-cour, car c’est nous qu’on a les meilleurs prix en ville.
    — Elle a une drôle de robe, la dame, et elle n’est pas très gentille, chuchota Jehanne une fois que la vacelle fut partie avec la somme demandée.
    Bienheureuse candeur de l’enfance ! Il aurait donné n’importe quoi pour être capable de ressentir ne fût-ce qu’un dixième de la curiosité de Jehanne, alors

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