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Le jardin d'Adélie

Le jardin d'Adélie

Titel: Le jardin d'Adélie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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longtemps. Il était peut-être tombé malade.
    Un grondement lointain leur sembla provenir des abîmes de l’enfer. L’orage approchait. La place vide du vieux maître paraissait les tenir pour responsables de cette absence qui n’était pas encore irréversible. C’était comme si un mort en sursis les observait et Dieu dans Son ciel était en train de leur dire ce qui se passait.
    *
    De grosses gouttes glacées commencèrent à tomber sur son habit noir, le constellant de taches plus noires encore. Elles ressemblaient à de l’encre. Le bourreau se trouvait encore à Saint-Denis avec les autres et il dut se mettre à courir vers son tref* qui avait été monté juste à la sortie de la ville. En un instant l’homme fut trempé. Le homespun* de la tente supporta bien l’orage. Louis retira ses vêtements et s’enveloppa de son aumusse à capuchon court, dépourvu de nœuds. Il soupa d’un quignon de pain bis et de fromage salé. Le bailli lui avait également fait remettre une bouteille de vin gris. Il aima cette sensation d’isolement total produite par la rumeur incessante de la pluie qui tombait en rafales. Il leva les yeux vers la toile qui ondulait au-dessus de sa tête.
    « Les nuages disent les choses à ma place », songea-t-il en se souvenant d’un autre orage qui, jadis, avait pleuré sur le parvis de Notre-Dame avec un garçon de onze ans.
    La loi, elle aussi, avait parlé à sa place. Il s’était caché derrière une tapisserie et l’avait écoutée en même temps que la famille, sa famille. Il avait regardé Clémence, soutenue par un Hugues au visage grave, chanceler jusqu’à la porte du palais de justice.
    « Dura lex sed lex {181}   » , disait l’ancien proverbe romain. La loi portait en elle la conviction que la peine infligée devait refléter le crime qu’elle vengeait. L’heure était venue pour Firmin d’expier pour son seul véritable crime. Car c’était lui, et non pas son fils, qui était cruel, disait l’écho lointain de sa conscience qui cherchait à se défendre.
    Telle est la loi du talion, ce sens élémentaire de la justice qui sommeille au cœur de l’homme. Louis la ressentait inconsciemment comme un acte magique : la destruction de celui qui avait commis tant d’atrocités allait effacer magiquement ses gestes.
    Au plus profond de lui-même, Louis savait qu’il n’aurait normalement pas dû être dominé comme il l’avait été par son père. Que ce père, aussi redoutable qu’il avait pu être, aurait dû le traiter en égal. La peste, puis son métier lui avaient au moins appris une chose fondamentale : l’existence humaine avait la même valeur pour tous, que l’on soit riche ou pauvre, faible ou puissant. Tous devaient la vie à une mère ; chacun avait d’abord été un enfant sans défense ; et, un jour, tous allaient mourir. La cruauté était contre nature, elle piétinait les exigences de la conscience qui étaient les mêmes pour tous. Ainsi, cet intense désir de réparation en Louis était-il mobilisé par cette conscience élémentaire, même si, paradoxalement, cela allait à l’encontre de ce que lui dictait la même conscience. Puisque le Seigneur, depuis Son portail en or, ne Se préoccupait que du lointain Jugement dernier, Louis avait pris la justice défaillante en main en se servant des autorités séculières.
    Dies irae, Dies illa {182} . Louis s’élevait au rôle du Dieu vengeur et vivait peut-être son plus grand moment.
    *
    Des pigeons s’éternisaient autour d’une rigole crasseuse dans laquelle trempait la jupe d’une matrone occupée à invectiver un gros homme qui avait vidé son pot de chambre trop près d’elle, depuis sa fenêtre. Les brancards d’une charrette pointaient, prêts à labourer les côtes de tout passant qui n’y prenait pas garde. Un cochonnet s’était réfugié dessous et couinait d’inquiétude à cause de gamins qui tentaient de l’en déloger pour attacher une guirlande de petites ferrailles autour de sa queue en tire-bouchon. Un vieillard les regarda passer en se fourrant un doigt dans la bouche afin d’aller recueillir une particule de noix qui s’était logée dans la cavité d’une molaire brunâtre. Tout était sale. Il y avait trop de bruit, trop de monde partout. Lionel avait oublié tout cela. Comment parvenait-on à vivre dans de pareilles conditions ?
    L’heure du dîner était passée depuis belle lurette. Le temps avait filé devant la nuit redoutée qui

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